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25 avril 2019

LIVRE : Fugitive parce que Reine de Violaine Huisman - 2018

9782072832574,0-5633100Comme quoi on peut avoir le "Prix Marie Claire du roman féminin" et être un bon bouquin en même temps. A priori tout pour me déplaire dans ce premier livre pondu par une jeune fille diaphane bourgeoise et cultivée de la bonne société : le portrait fouillé de sa mère, monstre de folie furieuse, mélange d'amour total et de je-m'en-foutisme complet, dont Huisman nous retrace toute la vie pour tenter d'en percer les mystères. Autant dire que sur le papier on s'en bat les parties avec une raquette de jokari, et que ça sent même le livre psycho dont je cale délicieusement mes meubles.

Eh bien contre toute attente, le livre m'a gentiment cueilli dès ses premières pages, et m'a emmené exactement où il voulait m'emmener : dans une sensibilité toute crue, dans une richesse de sentiments très touchante, dans une vérité étalée dans son plus simple appareil. Huisman écrit droit et net, et ce prix du roman féminin semble même une contradiction dans les termes : pas trace de ce style tout en délicatesse et en non-dits qu'on associe généralement au beau sexe (à tort ou pas, c'est un autre débat). Au contraire, l'auteur s'attaque à son sujet avec une frontalité qui fait plaisir à lire, avec une franchise délicieuse. Elle partage son récit en deux parties qui se répondent l'une à l'autre : la première est une expérience "in vivo" de la folie de la mère ; Violaine est enfant, et assiste à l'effondement mental de sa génitrice en spectatrice effarée. L'expérience a tout du sauvetage, du stage de survie, et les émotions de la fillette fluctuent au gré des humeurs de sa mère, capable d'actes magnifiques de beauté envers ses enfants et la seconde d'après d'une cruauté totale envers elles. Le livre touche de très près la vision de l'enfant : pas de style chichiteux pourtant, pas de tentative de style enfantin. Huisman écrit avec une très belle droiture, à cheval sur les émotions simples de la fillette qu'elle fut et la mise à distance de l'adulte qu'elle est devenue. Elle tente de restituer les impressions de l'époque, de rendre compte de ce que ça fait de voir sa mère enfermée à l'asile ou se livrant à des actes extravagants (le rapport à la sexualité de la dame est particulier, tout comme son rapport à la famille ou à la société). Aux cotés de cette névrose, Violaine grandit maladroitement, en quête de modèles "normaux", et cette partie montre à merveille ce que vit une petite fille au contact de la bipolarité, de la schizophrénie, de la dépression, de la folie d'une adulte qui a lâché prise.

La deuxième partie se veut plus objective : Violaine, devenue adulte, rédige une biographie de sa mère, reprenant depuis le début le récit de cette vie bancale, tentant de remonter le fil de cette démence. Les faits, rien que les faits, quitte à parler d'elle-même à la troisième personne : cette partie est une mise à plat, remplie de dates et de personnages, d'anecdotes et d'actes qui sont autant d'étape pour percer à jour le personnage rocambolesque de la mère. Le portrait se fait très dynamique, et la folie se change souvent en fantaisie ; l'écriture se fait plus acérée, plus factuelle, plus sans pitié aussi ; et on a l'impression que la mère est plus souvent gagnée par son inadaptation totale à la vie telle qu'elle est plutôt que par la maladie proprement dite. Huisman tente une écriture assez casse-gueule, mélange de style "parlé" qui dynamise le récit et d'écriture élégante très littéraire. Les phrases sont souvent bancales, prises par des rythmes heurtés, volontairement "mal écrites", mais cette recherche formelle s'avère payante : le livre est très fluide, portée par cette langue à la fois populaire, naturelle et très raffinée. Dans une courte troisième partie, Huisman décrit la mort de sa mère et la cérémonie qui s'en suit, et on a l'impression d'avoir fait le tour du personnage, en abordant la femme dans les faits et les dates et également dans le regard de sa fille. Le livre peut se refermer sur cette douce impression de mélancolie, de gâchis, et d'humanité. Au final, on se retrouve ému et en empathie avec ce personnage fantasque, énervant, fascinant et très touchant. Une élégie intelligemment menée.

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