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11 avril 2019

At Berkeley de Frederick Wiseman - 2013

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Bienvenue dans la prestigieuse université de Berkeley, établissement public qui a ceci de particulier sur le sol américain qu'elle tente d'inclure en son sein les minorités ordinairement privées d'études : Blacks, asiatiques, pauvres, Chicanos, ont leur place sur les bancs de cette fac autant que les autres. Et durant les deux premières heures de ce docu en immersion, le résultat est plutôt probant : dans un élan démocratique qui leur fait honneur, profs et élèves se montrent totalement respectueux les uns envers les autres, cultivant un sens du dialogue impeccable, organisant des groupes de discussion à répétition pour questionner les notions d'identité, de vivre-ensemble, de races, de statut social, etc. Wiseman, comme à son habitude, plonge tête baissée dans cet univers fermé, observant sur la longueur (4 heures de film encore une fois) les minuscules activités de chacun, qui constituent la vie ordinaire de Berkeley : le type qui tond le gazon a sa place, la femme de ménage aussi, l'ouvrier qui rénove la chaussée, tout autant que les profs et le conseil d'administration. C'est pourtant l'aspect presque cryptique qui semble intéresser le plus le bon bougre cette fois-ci : Berkeley est un monde à lui seul, avec ses codes, ses habitudes, ses conversations, sa faune ; et quand on suit un quart d'heure un cours sur la géo-physique, on comprend que ce monde est régi par des règles qui nous échappent en grande partie : impossible de comprendre quelque mot que ce soit au discours hyper-spécialisé du prof, ce qui rattache ce cours à un univers étrange obéissant à des règles inconnues. Pareil d'ailleurs pour ce cours de communication édicté par un ancien conseiller d'Obama, ou cette leçon sur Walden de Thoreau : dans chaque catégorie, on a droit au plus pointu de chez pointu des maîtres de conférence. Berkeley est vraiment un lieu d'excellence, mais qui pour une fois ne semble pas réservé à une élite sociale : s'y côtoient toutes sortes de gens, de tous les statuts. Le film alterne ainsi les cours et les conversations entre élèves ou entre élèves et profs, enregistrés dans des sortes de séminaires de dialogue destinés à libérer la parole et anticiper les différents problèmes qui pourraient se présenter.

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Car peu à peu, le film enregistre aussi, en creux, sans en avoir l'air, les limites du système de Berkeley. Dès le départ, une scène montre une jeune Black accepter difficilement l'intégration avec les Blancs ("pourquoi devrais-je vous aider maintenant ? Vous m'avez aidée, moi ? Vous avez aidé mes parents ?", en substance), et dès lors le film est marqué du sceau de cette triste impossibilité de réconciliation. Certes, les différentes couleurs de peau, les différentes sensibilités se côtoient sur les bancs de la fac, mais l'intégration totale ne se fait pas. Petit à petit, ces incessantes réunions sur la spécificité des Asiatiques ou des Noirs finit par déranger un peu, et cette volonté d'afficher à tout prix la tolérance cache mal un fond de rejet éternel et inhérent à la société américaine. Ces élèves, peu à peu, voient les failles de ce système, et les grèves, les manifestations naissent dans Berkeley. Les vieux de la vieille de la direction ont beau soupirer devant les revendications désordonnées des jeunes gens, regrettant les années 70 où au moins l'ennemi (la guerre du Vietnâm) était désigné, la colère est bien là. Les restrictions budgétaires menacent, le lobbying rôde, l'état de Californie se désiste peu à peu, et la belle organisation se craquelle. Et on se rend compte que Berkeley, aussi exceptionnel soit-il, est une représentation de l'Amérique dans son ensemble, où clivage social, manque de fric, et lutte atavique des communautés, se fait jour autant qu'ailleurs. Le film reste pourtant fixé sur cette utopie magnifique que pourrait constituer cette université, sur l'excellence des cours, sur l"intelligence des élèves et des profs, sur la vraie direction politique choisie par l'administration, et fait souvent chaud a coeur par ce qu'il montre d'espoir dans les jeunes générations de changer le monde (la scène où des élèves réfléchissent aux améliorations apportées à une machine destinée à faire marcher un handicapé). Mais le monde met bien du temps à changer...

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