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9 avril 2019

Farrebique ou Les quatre Saisons (1946) de Georges Rouquier

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Pierre de taille du documentaire français d'après-guerre, nous voici donc face au "monument" du gars Rouquier qui nous transporte dans le Rouergue (L'Allier avec un accent du sud, le cauchemar pour tout linguiste). Et nous revoilà plongé, l'espace de quatre-vingt-dix-minutes, dans toute l'ambiance de notre petite enfance (ou celle de mon père, je confonds parfois) ; ces aïeux qui parlent une langue que personne ne comprend (ça me ferait chier de me faire sous-titrer, perso, dans mon propre pays... et pourtant, force est de constater que, quand le grand-père éructe, il n'y a que des voyelles noyées dans l'eau-de-vie de prune), ces femmes qui accouchent de leur cinquième enfant pendant que leur mari bine (eh Chapoteau, il est arrivé le cinquième enfant ! M'en fous, tu vois bien que je bine), ces miches de pain plus grosses que cent-vingt-huit baguettes que l'on découpe comme une tome de fromages, cette "soupette" que l'on déguste tous les jours en complément de rien d'autre, tous ces plats chauds, cuits à la cheminée pardi, que l'on met sous les couvertures pour chauffer le lit, ces braises que l'on met dans les sabots pour sauver la vie des orteils (et des chaussettes qui n'ont pas intérêt à brûler si elle veulent rester au pied de leur propriétaire pendant les cinq prochaines années : quand ça caille, ne me parle pas d'hygiène, s'il te plaît, tu ne peux pas comprendre), ces fils cadets avec leur béret de traviole qui draguent les gorettes moches comme des meules des voisins (le choix est vite vu, cela dit), ces soirées passionnantes (la télé a tout tué bordel) où l'on écoute le grand-père rabâcher encore et encore sur ses parents, ces enfants attentifs, collés les uns aux autres, qui se partagent deux chaises pour quatre et qui écoutent, sans broncher un poil, le vieux parler dans sa moustache (les enfants étaient autrement éduqués à cette époque : tu coupais la parole de l'ancêtre, tu finissais dans l'étable et tu te faisais traire le lendemain matin à l'aube), ces insectes et autres animaux de nos campagnes tous morts depuis (des abeilles, tiens donc, c'était cela), ces champs que l'on fauchait avec un duo de bœufs, une machine fabriquée avec quatre bouts de bois et une armée de gars du voisinage avec lesquels tu partageais la table et les canons une fois le travail effectué... Ah bon sang, j'en aurais presque la larme à l'œil en repensant à cette bonne époque où tu devais bien te faire un peu chier quand même.

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Rouquier tente de nous faire vivre cela comme si on y était ; on sent bien que la parole de nos paysans est un peu influencée par la présence de la caméra (attends, je déplace le pied pour te filmer dans l'axe, et tu réponds) mais ces derniers jouent le jeu du mieux qu'ils peuvent (ils ne font pas semblant d'articuler, par exemple, les salauds). Le cinéaste, quoiqu'on en dise, parvient à capter tous les petits gestes d'une époque, et le rythme du travail au fil des quatre saisons. On discutaille pour la forme de la construction d'une maison (bon, l'année prochaine) et des problèmes d'héritage (l'ainé, con comme un ballon, héritera de la ferme qu'on le veuille ou non) mais l'essentiel est ailleurs : la vie dans nos campagnes françaises (avant même l'arrivée de l'électricité qui arrive en cours de tournage) comme si on y était ; on a beau avoir un petit rictus condescendant de petit bobo de merde exilé en territoire d’outre-mer colonisé, on savoure à son juste prix cette atmosphère d'avant-hier et ces soupettes grasses comme des loukoums saturées de croutons. On travaillait tout le temps comme des brutes (l'auge remplie avec de la pâte à pain que chacun remue... diable), on mourait avant même que la retraite qui n'existait guère vous tombe sur le coin du nez (le rêve macronien absolu) et on ne pensait qu'à une chose : survivre avec un bout de pain à chaque repas et une douzaine de bouteilles de rouge par jour pour parvenir à avaler le tout (la tronche de sa femme, celle des gosses, le boulot sous le cagnard, la connerie du voisin, l'arthrose). Toutes les rides prises par le doc ne lui en donnent que plus de valeur et l'on bénit ce Rouquier pour avoir consacré en son temps toute une année à ce sujet sans esbroufe. On le retrouvera dans les années 80, pas de panique, on ne va pas se séparer comme ça. Farrebique, en attendant, pas de la petite crotte de. (avec, spéciale dédicace pour l'ami B., des timelapse de feu)

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