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Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
15 mars 2019

Meat de Frederick Wiseman - 1976

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35 ans avant de réaliser Crazy Horse, Wiseman avait déjà filmé de la viande sur pattes (...) avec ce film joyeusement printanier et revigorant, qui prend pour sujet la difficile et courte existence de la vache et de l'agneau moyens dans la chaîne industrielle de fabrication de steaks et de côtelettes au Colorado. Depuis son tranquille broutage dans les prairies jusqu'à sa triste fin coincée entre deux tranches de pain, on suit donc tout le processus de transformation de la pauvre bête. Quand on connaît le pouvoir fascinant d'observation de Wiseman, on sait dès le départ qu'on va avoir droit à des choses pas très olé-olé. Eh bien contre toute attente, ce n'est pas trop gore. Pas de cadavres frémissants, pas de poussins passés au mixer, pas d'animaux à moitié morts pendus par l'échine. Ou peu. Brigitte Bardot bondira peut-être à la lecture de ces lignes, mais la mécanique de mort est hyper bien huilée, les bêtes meurent en masse mais sans trop souffrir. Mais c'est presque ça qui est le plus effrayant. L'entreprise de fabrication de la viande, si bien rodée, si organisée, devient peu à peu une antichambre de l'enfer, pleine de sang et de viscères, où la mort est banale, se quantifie en chiffres et devient presque abstraite. Quant aux hommes qui la génèrent, ils semblent faire partie intégrante du chaos et avoir été ingérés par la machine. Au final, donc, oui, le film est très éprouvant, rempli de vacarme et de forme peu ragoûtantes. On en ressort assommé par le bruit et par cette sensation d'avoir côtoyé l'enfer en compagnie de ces pauvres animaux et de leurs bourreaux.

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Je me plaignais que Crazy Horse oublie un peu les corps, alors que c'était le sujet du film. Là, on y a droit en plein. Wiseman nous fait éprouver physiquement le travail de ces hommes dans l'usine : découpage des pattes, écorchage, vidage des boyaux, étiquetage, hâchage, section des têtes, chacun a sa tâche même minime, et on comprend parfaitement le côté "travail à la chaîne" de la chose. Depuis l'entrée des vaches dans ce couloir où elles vont être tuées (un simple geste presque doux, et les voilà ad patres), la mécanique est absolument implacable, exécutée avec une précision diabolique par des ouvriers indifférents au crasseux de la chose (un gars regarde même un match de foot tout en éventrant passivement des carcasses). La sûreté des gestes est renforcée par le filmage de l'intérieur, au plus près des corps en effort. Les cadavres de vaches et les hommes se mêlent dans la même matière, les deux semblent faire partie d'une même entité. L'écran se remplit de fumées, de liquides dégoulinants, de peaux et de tripes, et, "autant" que les bêtes, les hommes sont englobés dans cet effort d'autant plus effrayant qu'il est au service d'un monde de plus en plus concurrentiel, où le rendement est devenu capital. Car en contre-point de ces images impressionnantes, Wiseman, fidèle à ses habitudes, montre aussi les à-côtés, les longues discussions commerciales, les ventes à la criée complètement absconses, les luttes syndicales : outre qu'elles amènent une respiration bienvenue (on a l'impression de sortir d'un bocal), ces scènes montrent l'implacabilité de ce monde devenu fou, qui sacrifie les animaux pour remplir des colonnes de chiffres.

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Nimbé d'une lumière souvent fantastique, qui bouffe une bonne partie de l'écran, le film se fait volontiers abstrait, quand il montre par exemple des grandes carcasses défiler sur des cintres, ou des hommes mêlés occupés à découper à la tronçonneuse des torses de moutons en deux. Même les séquences du début à l'air libre, qui pourraient être plus apaisées, sont dans cette veine-là : les animaux courent, sont bousculés ou frappés par des hommes impavides, qui remplissent leur rôle sans aucune empathie. Et ils ont bien raison : il faut exécuter une série de gestes programmés, déréalisés à force d'être répétés, pour supporter ce processus infernal. Le film montre finalement des hommes qui acceptent leurs rôles autant que les bêtes. Un très grand docu, impressionnant de force, sur notre monde moderne, dont il n'est pas sûr qu'il s'est beaucoup arrangé aujourd'hui.

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