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25 février 2019

LIVRE : Passage des Ombres de Jean-Claude Pirotte - 2008

passage_des_ombresEnorme découverte pour ma part que ce poète belge mort il y a cinq ans, et qui laisse une oeuvre assez conséquente derrière lui. Je n'avais pas été touché comme ça par de la poésie depuis pas mal de temps, et j'ai avalé ce gros recueil avec un délice de chaque instant. Pirotte renoue avec la poésie légèrement désuète qui précéda les élucubrations parfois fumeuses de nos contemporains, et on pourrait presque trouver que sa langue a quelque chose de passéiste, de suranné : ses vers sont remplis de mots et de motifs qu'on n'entend plus guère dans notre poésie post-moderne, qu'on retrouvait par exemple chez Prévert ou Supervielle, les "galurins", les "pardessus", tout ce folklore de la poésie de coin du feu, confortable et accessible. Mais il sait à coup sûr donner à cet univers très rural, enfantin, à ce style à l'ancienne, à cet imaginaire nostalgique, une patte contemporaine qui rompt avec le passé. En vrai élève de Rimbaud, de toute évidence, encore plus que de tous les poètes qu'il cite en hommage, il trouve des rythmes très syncopés, toujours surprenants, et va chercher l'enjambement acrobatique, la forme déséquilibrée, la tournure tordue qui vont trouver la pureté des mots, leur redonner leur sens. Pirotte écrit en vers, ce qui ne se fait plus, et qui plus est en vers rimés, ce qui est complètement ringard ; mais ses vers et ses rimes vont fouiller au plus profond de nos psychés d'enfant, dans la sève de ce qui fait notre univers éternellement mélancolique. Du coup, les sujets sont tristes, ça parle de mort, de perte, de temps passé qui ne reviendra plus, et si l'humour est omniprésent dans la plupart des pièces, il est toujours teinté d'une inquiétude profonde face au monde. Pour expliquer ce monde, ou pour y faire face vaille que vaille, il reste aux poèmes quelques paysages d'enfance (envahis par la neige, par les ombres), il reste quelques détails dont ils extirpent la beauté au sein de la misère, il reste (un peu d') amour, des femmes qui partent mais dont l'image reste, les gros plans sur une expression ou sur un détail de corps. Il reste surtout les poètes eux-mêmes, et Passage des Ombres est aussi et surtout une révérence à ces modèles, de Dubillard à Queneau, de Ponge à Senac, qui ne se prive pas de les citer voire même d'utiliser leurs propres vers pour leur donner une nouvelle résonnance. En tout cas, chacun des poèmes du recueil est une entrée vers la beauté, et il suffit à Pirotte d'un vers ou deux pour qu'on adhère à son univers et à son imagerie de façon évidente, directe. Des poèmes simples, droits qui font du bien dans cette époque de cérébralité parfois trop poussée ; mais c'est bien sûr une fausse simplicité : la langue est travaillée au millimètre, la musicalité constante, l'invention permanente. Rien à jeter dans ce livre précieux comme un souvenir d'enfance (si vous connaissez la campagne, je prends le pari que vous allez être bouleversés par toute la première moitié), plein de clochers qui sonnent dans la brume et d'après-midis torrides au bord des étangs, d'animaux et de femmes absentes, de regards pathétiques sur le bon vieux frère humain et de virtuosité verbale. J'adore.

«si c’était mon dernier voyage
avec la mer et le grand âge
dans ma besace de très vieux colporteur
aimé des nuages

la douce mer dans la bouteille
et le grand âge au fond des poches
le regard sous le chapeau cloche
qui me rapproche du ciel

aurais-je emporté la chanson
que me chantait la jeune fille
je n’ai jamais connu son nom
elle a disparu de ma vie»

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