Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
4 janvier 2019

LIVRE : L'Usage du Monde de Nicolas Bouvier - 1963

bouvier01

Voilà un ouvrage incontournable (et forcément culte - amis Suisses, décidément, vous n'arrêterez jamais de nous surprendre) pour tout voyageur qui se respecte, pour tout amateur de littérature, d'histoires, d'Histoire, pour tout esthète des mots, pour tous, quoi, pour peu que vous sachiez lire. Bouvier, dans les années 50 (le livre, on le sent, eut besoin d'une certaine maturation pour voir enfin le jour), accompagné d'un ami dessinateur, Thierry (non, rien à voir avec Shang), se lance dans une traversée à l'aide d'une bagnole toute pourrie dans les pays suivants : Yougoslavie, Turquie, Iran, Pakistan, Afghanistan - bref, que des pays à la coule où le tourisme de masse fleurit. L'ouvrage, plus qu'un simple carnet de voyage à la con, enregistre les rencontres (forcément), mais surtout les ambiances, les états d'âmes, le folklore, la misère, le bonheur, la chienlit, les états de grâce de cette traversée de l'impossible. Si l'érudition du jeune Nicolas fait merveille sur ces pays-là, on sent qu'il n'étale jamais comme de la confiture ses connaissances (c'est en cela qu'on comprend tout de suite qu'il n'est pas français), cherchant juste à mettre quelque peu en perspective les gens, les peuples, les ethnies qu'il côtoie ; on ne sait trop, de même, combien de langues il parle, plus ou moins bien d’ailleurs, se démerdant toujours pour communiquer avec son frère humain quelles que soient les situations. Ce qui fascine sans doute le plus, c'est que le gars ne verse jamais dans l'ébahissement à tout crin (au contraire, on a l'impression qu'ailleurs l'herbe est toujours plus marron - faut dire qu'il vient des Alpages…), qu'il ne cherche jamais à la jouer aventurier pour le fun (et ce même s'il gagne les coins les plus reculés du monde), qu'il ne la joue jamais à l'épate ni ne philosophe sérieusement pour le plaisir : il ne sait pas plus qu'un autre ce qu'il cherche, ne sait pas plus qu'un autre ce qu'il trouve, son plaisir est là, dans ce qu'il vit, son malheur est là, lorsqu'il en chie ; il tente juste, si l'on puit dire, de mettre ensuite les mots les plus précis sur ce qu'il voit (détails fantastiques des descriptions avec une simple poignée de mots), de raconter au plus court ses impressions.

On reste fasciné, disons-le, non pas par son sens de la syntaxe, par ses métaphores, simplement par sa volonté d'user du mot parfait au bon endroit. Bouvier nous transporte autant par ses mots que par "l'exotisme" (hum) de son voyage et c'est sûrement déjà là que l'auteur marque le plus de points. Il y a bien sûr moult aventures (souvent à la con) qui rythment le récit : le manuscrit perdu et recherché dans une décharge, la rencontre avec un couillon d'un institut français qui finit grâce à un fou rire dans la bonne humeur, le passage acéré sur les mouches asiatiques, le récit dans cette boite de nuit où il joue avec son comparse de la musique ou repeint les murs, les multiples problèmes de la bagnole, et j'en passe, et des pires (l'homme aurait pu mourir vingt fois s'il était français) mais c'est peut-être, au final, dans ses descriptions de "l'autre", que Bouvier impressionne le plus. On sent qu'il ressent, au plus profond de lui-même, les gens qu'il rencontre (qu'il les aime ou pas d'ailleurs), qu’il a en lui cette capacité à "sentir" chaque pays, chaque région, chaque quartier... Son simple feeling sur ce qui se dégage de l'Afghanistan par exemple aurait permis, s'ils avaient lu le bouquin, aux Russes comme aux Américains, de se tenir à carreau de toute guerre perdue d'avance. Bouvier décrit la fierté de ces gens (qui viennent d'ailleurs de divers coins du monde) et permet de toucher du doigt ce que l'on apprendra jamais dans les (mauvais) livres (...) : il expose le plus sincèrement du monde la primauté de l'expérience directe du terrain, sans a priori, sans idée préconçue, sans volonté de jugement. C'est en cela que le bouquin, modeste dans ses aspirations, est sans doute le plus sciant : Bouvier ne définit peut-être pas le sens du mot voyageur mais en tout cas est au plus près de ce que devrait être l'état d'esprit de tout voyageur : un homme qui observe et sait se taire le cas échéant. Ses "notes" font preuve d'un sens aigu de l'observation et la patine littéraire est, quant à elle, remarquable en tous points. Bref, un must absolu dans le genre.

Commentaires
Derniers commentaires