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Shangols
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2 janvier 2019

Le Livre d'Image (2018) de Jean-Luc Godard

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Voilà qu'on s'attaque une nouvelle fois au monument Godard ! Rien de bien nouveau ici dans la méthode : des images, des figures, des images, des figures, des citations qui s'entremêlent, se chevauchent, se répondent, des mots, des maux, la guerre qui s'en va et qui revient. Ah violente humanité que caches-tu en ton sein si ce n'est une arme à la place du coeur ? - cette phrase est de moi et je ne sais trop si elle pourrait avoir un lien avec le film de Godard... Cela ne peut, de toute façon, pas vraiment me faire de mal en introduction de m'exprimer personnellement devant ce nouveau montage du Maître, montage d'images dont on croit deviner les thèmes à défaut de toujours tout comprendre de la logique et des raisonnements du sieur - c'est parfois un peu frustrant de ne pas être dans sa tête... Mais l'a-t-il, toute, hein, encore ? Pas de souci sur ce point. Le type reste définitivement vert, toujours aux aguets de la folie du monde.

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Cinq parties, donc, dans ce nouvel opus que nous allons survoler (on laisse au gars Gols le soin de creuser la mine, of course...) : 1) « Remakes » : à la guerre comme à la guerre, d'éternelles images se répètent comme celles de l'exécution de personnes pendant la seconde guerre mondiale ou soixante-dix ans plus tard par le groupe DAESH (Godard extirpant deux extraits filmés du parti islamique ce qui, me semble-t-il, est une première) 2) « Les Soirées de Saint Petersbourg » : où il est beaucoup question de bourreaux et de cette terre assoiffée de sang. 3) « Ces fleurs entrent dans les rails, dans le vent confus des voyages. » : la partie dédiée spécialement à l'ami Bastien puisque ne cessent ici de se succéder des images de train... Transport vers la mort (encore et encore), transport amoureux, transport vers un ailleurs, transport dans la joie, Godard excelle à monter cette bataille d'images du rail ; notre homme creuse sa thématique, son sillon, sur ces trains qui furent présents dès le départ dans l'Histoire du cinéma. 4) « L'esprit des Lois » : Godard revient encore et toujours sur la notion d'images, leur beauté, leur sérénité face à la folie du monde ; on y parle aussi beaucoup de mains, soit dit en passant, pour les fétichistes de la chose.

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5) La région centrale : la partie la plus conséquente du film, Godard l'international nous emmenant dans les pays arabes... « Heureuse Arabie » disait Dumas que nos très chers gouvernements ont réussi à pourrir (l'attrait de l'or noir bien sûr) ; ce monde arabe étouffé, comment peut-il encore aujourd'hui s'exprimer ? Godard le rebelle, le punk éternel lâche cette petite bombe : "Pour ma part, je serai toujours du côté des bombes" - ok.

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Le générique de fin nous offre un résumé des films, des auteurs, des livres évoqués et cela fait toujours plaisir de se tester à ce petit quizz culturel (Ah ouais, j'en ai reconnu 2 sur 20 pas mal). Blague à part, sitôt la chose vue, on ressent comme pour Histoire(s) du cinéma l'envie de s'y replonger pour extraire quelques parcelles de sens qui nous avaient forcément échappé à la première vision dite de découverte (sachant qu'au moins la moitié de la pensée godardienne (et je suis très généreux avec moi-même), ses liens, ses ponts, ses aqueducs, sa logique imagée et parlée m’échappera à jamais ; pas sûr d'avoir droit un jour à la version commentée par l'auteur sauf peut-être lorsqu'il aura le temps outre-tombe (sa voix se fait de toute façon de plus en plus zombiesque et je ne serai pas étonné d'apprendre qu'il est mort depuis déjà 10 ans et qu'il nous livre ses impressions sur notre monde depuis la tombe)). On reconnaît bien sûr beaucoup de passages tirés de ses propres œuvres et l'on a toujours ainsi l'impression d'assister à une sorte de film testament, une compile érudite de l'homme cinématographique par excellence... Bref, encore une œuvre pleine comme un oeuf qu'on se fera un plaisir de déchiffrer morceau de coquille par morceau de coquille avec l'ami Gols après avoir abusé de rhum. Livre ouvert.   (Shang - 06/12/18)

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"Aucune activité ne sera un art avant que son époque soit terminée. Ensuite, cet art disparaîtra."

S'il y en a un qui ne change pas, et qui se retrouve toujours en tête de nos palmarès annuels des meilleurs films, c'est bien notre JLG. Ce sera encore le cas cette année, puisque Le Livre d'Image est une merveille, une longue rêverie poétique, chaotique et en même temps extraordinairement cohérente, sur le monde qui nous entoure, et surtout, aux yeux du vieux sage, sur celui qui s'éteint. Godard travaille depuis maintenant une bonne trentaine d'années sur la mort du monde à travers celle du cinéma ; ce film, en cultivant un aspect plus doux qu'à l'ordinaire, continue sur cette veine. Le gars triture comme jamais les images et les sons, rendant à la plupart un aspect "vieille VHS oubliée sous l'averse" qui ensevelit définitivement tout sous un voile de deuil : images à peine lisibles, saturées de couleurs criardes, sons interrompus et saturés, l'impression d'amas de cultures, qui n'apparaissent plus que durant une seconde, n'a jamais été aussi prégnant. Le Livre d'Image est une ouverture horizontale du crâne de JLG, et tout ce qui y est entreposé, culture populaire et savante, citations, vagues réminiscences de plans, bribes de musique, correspondances acrobatiques, haines et admirations, se déverse pêle-mêle devant nos yeux sidérés. L'extraordinaire, c'est que tout ça a une cohérence totale, même si la plupart des ponts entre les images nous échappe, même si les rapports entre les sons demeurent incompréhensibles.

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Il existe un rivage où Godard se repère encore, au milieu de sa solitude sociale : le cinéma, la peinture, la musique, la littérature sont pour lui la seule chose cohérente de ce monde, et même eux commencent à mourir (avec lui) devant nous. Seuls quelques motifs apparaissent désormais, nous rappelant un univers jadis brillant. C'était déjà la thématique de Histoire(s) du Cinéma, et ce film pourrait bien être un chapitre de plus ajouté au grand oeuvre. Cette fois, c'est plus net, plus direct. Le Livre d'Image est le film le plus accessible, le moins intello de Godard depuis des années, directement en phase avec une émotion plus qu'avec des théories. On y assiste, dans un ordre un peu arbitraire, à l'expression très personnelle d'un homme déjà mort, et c'est bouleversant. Le fantasme d'évasion vers les pays arabes, que JLG reconnaît être un fantasme, notant que le décor du Maghreb, au cinéma et dans l'inconscient collectif, est plus un décor qu'autre chose, est la seule chose douce et positive qui émane de tout ça : la plus longue partie du film, qui est aussi la plus sensible, rassemble des centaines d'extraits et de photogrammes mystérieux, qui représente un état du monde primaire, naïf. Tout le reste est tourmenté, chaotique, avec ce chapitre central consacré à la guerre, totalement désespéré. On adore aussi ce long passage sur les trains, non seulement motif éternel du cinéma, mais aussi symbole d'une tentation d'évasion un peu vaine (Gabin qui court après un train qui s'en va, et qui contient la femme qu'il aime). Histoire et cinéma s'entremèlent, autre thème de toujours dans le cinéma de Godard, les trains sont aussi des réminiscences d'Auschwitz, le Maghreb des retours de la guerre d'Algérie qui a tant marqué Godard. Il dit que le cinéma a toujours su enregistrer l'Histoire, mais que tout ça est fini... parce que l'Histoire est finie (entendre "histoire" dans tous les sens du terme). Tout ça évoque finalement la disparition du savoir-faire, et la petite intro sur la puissance des mains, des doigts, rappelle qu'il fut un temps où tous ces artistes évoqués furent des artisans, des travailleurs manuels.

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On pourrait être fatigué par cette nostalgie amère, par cette posture "c'était mieux avant" ; mais c'est fait avec une telle sensibilité qu'on demeure ébahi devant les inventions de ce montage abyssal, et on oublie un peu l'idée pour se concentrer sur la forme. De ce côté-là, on est épaté : certains plans sont tout simplement sublimes, JLG a l'oeil pour repérer au sein de films divers LE plan photogénique à mort. On a l'impression que la toile devient une série de surimpressions, et les envies de cinéma en 3D que Godard a expérimentées il y a quelques années n'ont jamais trouvé de meilleur exemple. Tout comme les rapports entre film et peinture, le gars travaillant la pellicule pour lui donner souvent une texture fauviste, pour en faire des toiles de de Stael ou de Matisse, saturées de couleurs primaires. Les sons, qui se chevauchent jusqu'à s'interrompre aux moments les plus lyriques, sont parfois très forts, parfois très faibles, parfois inaudibles, et on capte par-ci par-là quelques fulgurances et quelques sentences sybillines dont il a le secret, énoncées avec cette voix sépulcrale désormais reconnaissable entre toutes. Les images se répondent parfois, mais comme chez Rimbaud (référence primordiale du film), par un système de correspondances parfois simples (une réplique de Johnny Guitar qui renvoie à une réplique du Petit Soldat) parfois mystérieuses ; mais toujours cohérentes. On reste sur le cul devant ce travail incroyable, bouleversé le plus souvent, et on s'incline une nouvelle fois devant le génie. On pourra dire à nos petits-enfants qu'on a été les contemporains de Godard, et ça, ça en jette.   (Gols - 02/01/19)

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God-art the cult

Commentaires
T
Heureusement qu'on a Alain Bergala, pour parler (à chaque fois) intelligemment de Godard, et lui rendre justice : Le monde, du jeudi 22 septembre. Mais Bergala parle de ce qu'il connaît. (Ce que nous devrions tous nous obliger à faire.) / TB.
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