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Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
4 décembre 2018

De l'autre côté du Vent (The Other Side of the Wind) d'Orson Welles - 1970 / 1976 / 2018

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Voilà enfin, sorti des limbes complexes de productions et des caprices divers des créateurs du film, le machin inédit de Welles, ce film rarissime qui jusque là s'échangeait par petites bobines entre cinéphiles aux yeux cernés. Il a fallu attendre pas loin de 50 ans pour pouvoir le voir, ou en tout cas avoir un aperçu de ce que ça aurait pu donner. Car, quand on découvre la chose, on se dit que le film aurait sûrement été revu par Welles, pas donné ainsi comme à l'état brut. Pour tout dire, The Other Side of the Wind n'apporte rien à la gloire du maître, et laisse même entrevoir quelques visions de pépé et quelques grosses faiblesses de réalisation à pas mal d'endroits. N'empêche : c'est émouvant de retrouver ainsi quelques traces du grand génie, et de revoir par la même occasion quelques tronches connues et mythiques (Huston, Chabrol, Hopper, Bogdanovich...)

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Le sujet : pour ses 70 ans, un maître du cinéma a accepté de passer à ses invités des bouts de son film inachevé, qui a tout du film maudit : un acteur inconnu mais que Hannaford (c'est le nom du type) considère comme un génie, un scénario plein de trous écrit au jour le jour, un style érotico-rococo assez douteux, et surtout une aura de malédiction, puisque l'acteur en question est parti du tournage en cours de route et a bel et bien disparu. Au cours de la soirée, remplie de flatteurs, de jaloux, de biographes avides de détails croustillants, de caméramen omniprésents, de jeunes premières, de vieilles gloires, de producteurs à deux balles et d'anciens techniciens de génie, on apprend qu'Hannaford est en réalité ruiné, que le film ne sera probablement pas achevé, et que les excès du bonhomme empêcheront sûrement la poursuite du projet. La soirée s'achèvera, on l'apprend dès le départ, par la mort du cinéaste. Suicide ou accident ? A nous d'en juger en suivant les détails de cette fête borderline et bruyante. Autrement dit, Welles s'attelle à son 8 ½ à lui. Mais contrairement à Fellini, qui avait fait de son film autobiographique un essai amer mais doux, lui sort l'artillerie lourde, et nous sert un film dans la tonalité de son époque : violent, mouvementé, direct, plein d'alcool et de drogue, sexué à mort, un 8 ½ filmé par Cassavetes en quelque sorte.

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Il y a deux films dans The Other Side of the Wind : le premier est constitué des extraits du métrage d'Hannaford, sombre histoire sans sujet, mais qui donne à voir des scènes de sexe entre Oja Kodar (la pauvrette a la part du pauvre et ne joue qu'avec sa plastique, mais il faut dire qu'elle n'a pas l'air très talentueuse par ailleurs) et le fameux jeune acteur qui est devenu le chouchou du réalisateur (Bob Random, un sosie de Jim Morrison mais mauvais). Si de temps en temps la sensualité s'invite un peu, on est la plupart du temps gêné par cet érotisme de dimanche soir, formel comme un David Hamilton, où des acteurs s'échangent des oeillades bovines en écartant les lèvres pour montrer le désir irrésistible qui s'empare de leurs membres turgescents, comme ils disent dans la littérature de gare. Welles tente des trucs, comme ces personnages nus placés sur une ligne d'horizon toute simple, comme ces plans très géométriques aux profondeurs de champ vertigineuse (la marque de fabrique du gars depuis Citizen Kane), comme ces expérimentations musicales très hippies (Michel Legrand en plein trip) ; ou même comme ces idées qui viennent casser l'érotisme : une voix off envahissante ou le collier de madame qui se coince dans le zboube de monsieur, suivi d'une utilisation de ciseaux un peu glaçante ("Du pur Hitchcock", dit la voix off, sic). Mais l'ensemle est super ringard, et montre un Welles en pervers pépère légèrement visqueux.

Jake-Hannaford

Heureusement le deuxième film est mieux, même si trop long et un peu toujours sur le même rythme (fatigant). Le portrait des gens de cinéma proposé lors de cette fête avinée est effrayant, ramassis de flatteurs et de frustrés qui gravitent autour de la figure centrale et fuyante d'Hannaford (c'est Huston qui joue le rôle, et on reconnaît en Hannaford un mélange de lui, d'Hemingway et de Welles lui-même, cinéaste incapable de finir ses films, mégalo et auto-destructeur). C'est un véritable chaos de formes, chacun a ses trois répliques à dire dans un désordre impressionnant, filmé dans un noir et blanc crasseux complètement de son époque. Ressort de ce magma la jolie figure du petit cinéaste admiratif mais moins talentueux (Peter Bogdanovich), qui compense sa frustration par le dandysme et les piques verbales surannées. La fête est scrutée par des dizaines de caméras qui s'invitent dans la moindre alcôve pour capter les confidences, les petits secrets plus ou moins avouables, les petitesses de chacun. Le tout se termine bien entendu assommé sous les rasades de gin et les coups de fusil de chasse. Cette partie-là est bien envoyée, cruelle dans son fond et très énergique dans sa forme, Welles semblant attraper tout ce qui bouge presque malgré lui, en impro (mais on sent bien que c'est une impro très contrôlée), se foutant un peu du rendu du moment qu'émerge du chaos des moments de vérité. Il y en a beaucoup, et on est tout émus de voir ici convoqués une ancienne maîtresse amère ou un cinéaste génial (mais dont on apprend qu'il a tout piqué à Hannaford), et de voir ainsi saisi aussi bien le pathétique monde du cinéma d'avant. Au final, on est bien content que ce film, même maladroit, même malaisé parfois, ait vu le jour.

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