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28 septembre 2018

Théorème (Teorema) de Pier Paolo Pasolini - 1968

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De la haine anti-bourgeoise transformée en acte religieux. Voilà bien longtemps que je n'avais pas revu ce film pourtant fondamental pour moi, et sa re-vision m'a proprement ébloui. Pasolini est le seul à pratiquer ce cinéma impur, parvenant à concilier la gadoue et la sainteté, faisant le pont entre le combat social et la spiritualité. Ici, c'est une histoire bien symbolique, destinée à expliquer un acte fondateur, filmé en noir et blanc au tout début du film (et j'avais complètement oublié ce prologue) : un patron a remis son usine à ses ouvriers. Tentative de récupération bourgeoise, ou véritable acte d'allégeance ? Pier Paolo va nous expliquer ça. Nous voici dans une demeure bourgeoise, famille classique : père, mère, fille, fils et la bonne. Annoncé par un Ninetto Davoli en ange Gabriel populo, arrive dans ce cadre grand crin une sorte de Christ païen, presque complètement muet, porté par la beauté hermaphrodite et mystérieuse de Terence Stamp. Le gars se met à coucher avec toute cette smala, femmes et hommes, jeunes et vieux, puis, à l'exacte moitié du film, disparaît comme il était arrivé. Dès lors, chaque membre de la famille va subir une transformation morale totale, comme si le passage de cet inconnu avait révélé à chacun sa part inavouée de sainteté, de pulsions sexuelles, d'expression artistique... ou de conviction communiste, le père finissant par céder son usine à ses ouvriers avant de partir nu dans le désert.

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Pasolini est quand même doté d'une solide paire de cojones pour se lancer avec une telle frontalité dans cette fable métaphysique et politique. Dans une photo crasseuse, impure, il déploie son univers sombre, provocateur mais aussi étrangement drôle, qui développe une symbolique chrétienne et doloriste bluffante. Qui saurait ainsi rendre touchante une femme, bourgeoise fardée et figée dans sa classe (Silvana Mangano) qui offre son corps aux petites frappes des faubourgs ? Son cri de détresse et de libération à la fois, dans sa voiture, suffit pour exprimer la violence de sa métamorphose, c'est bouleversant. Qui oserait d'autre part filmer avec autant de sérieux la transformation d'une bonne sans envergure en sainte (Laura Betti), la faisant planer au-dessus d'une troupe de paysans, ne mangeant plus que de la soupe d'orties, et finissant par rejoindre les limbes sur les traces d'une petite vieille ? Qui oserait ces monologues hallucinés sur la pureté de l'art prononcés par le fils complètement retourné ? Qui oserait enfin ces images fortes, qui reviennent d'ailleurs dans le film comme des représentations du vent qui balaie les identités, sur un désert et un homme jadis nanti, nu, qui hurle dans le vide ? Moi je dis personne, à part notre ami Pier Paolo, qui réalise là un chef-d'oeuvre d'irrévérence et d'humanité à la fois : il fustige les bourgeois, mais les regarde en tant qu'hommes, véritablement en empathie avec les troubles qui les saisissent après le passage de cet inconnu, presque désolé de leur bouleversement.

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Esthétiquement, le film est malpropre par tous les bords. Pourtant le montage est impressionnant, "enchâssant" les destins des différents personnages peu à peu l'un dans l'autre, alternant les registres avec maestria. Sur une bande-son hachée qui fait écouter le requiem de Mozart comme une lente prière, dans une économie de dialogues constante (la bonne, la fille (Anne Wiazemski), le Christ sont quasi muets), organisant le tout en tableaux parfois proches d'un Bosch et parfois d'un peintre Renaissance, y mêlant des éléments pop, ne refusant jamais un érotisme moite, toujours à la limite du bon goût, PPP propose un vrai brûlot dérangeant, qui montre un univers fascinant faits d'icônes religieuses, de tendances païennes, de luttes populaires et d'humour crasseux. Un film fascinant, en tout cas.

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