LIVRE : Invasion de Luke Rhinehart - 2016
Deuxième livre de Rhinehart traduit en français en 55 ans, c'est assez singulier pour qu'on se jette sans vergogne sur la chose. D'autant que l'autre livre traduit, c'est L'Homme-Dé, un de ces livres qui vous prennent et vous retournent façon crêpe, en modifiant en plus votre vision de la vie. Bon, celui-là, malgré son aspect rigolo et agréable, ne fera pas le même effet, loin de là. Le postulat de base est déjà assez naze : des extra-terrestres, appelés PP, débarquent un jour sur Terre, et se mettent à mettre en échec tout le système capitalistico-militariste de l'Amérique. Leur seule justification : ils sont là pour s'amuser, et foutre le why, c'est amusant. Aussi experts dans les jeux de ballons que dans le piratage informatique à grande échelle, ces sympathiques boules de poil, aidées par quelques humains tentés par l'anarchie, vont faire vaciller le pays, et remettre en question les valeurs les plus fondamentales de la société : égoïsme, violence, auto-destruction et inégalités.
Tout ça part d'un bon sentiment, et on reconnaît l'esprit libertaire de jadis. Quand Rhinehart est dans l'ironie, c'est un maître : le récit est entrecoupé de définitions de dictionnaire écrit par les extra-terrestres pour comprendre les humains, et leurs définitions sont hilarantes d'irrévérence et de justesse. De même dans les dialogues entre extra-terrestres et humains, dans leur vision de la vie : ils sont désarmants de logique, et démontent point par point toutes les convictions des humains avec une drôlerie totale. On rigole très souvent, c'est vrai, devant le côté frontal des PP, leur façon de se moquer des va-t-en-guerre et des nantis. Le cynisme est de mise, on grince des dents, mais on se dit que Rhinehart a tout compris à la société contemporaine. Le monde selon Trump en prend pour son grade. Là où le gars est moins bon, c'est dans la construction de son roman, et pour tout dire aussi dans son écriture. C'est sûrement mal traduit (encore plein de coquilles traînent ça et là), mais on tique franchement devant ces répétitions qui rendent le récit très flou, devant ce style pénible, haché, limite bâclé, et on se dit qu'avec son matériau, pas très sérieux mais pertinent, il aurait pu faire un vrai grand roman anarchiste, aller aussi loin dans son concept qu'il avait été dans celui de L'Homme-Dé. Là, il s'arrête trop tôt, s'attarde sur des scènes longues et inutiles, définit mal ses personnages et se fout un peu trop de ses actions, et le roman peine à paraître achevé. Les PP, véritables gremlins modernes, ne chamboulent au final pas grand-chose, semant quelque désordres et ne remettant les choses en question que le temps de quelques galipettes innocentes. Pour un punk comme Rhinehart, on aurait pu espérer plus de chaos. Et un peu plus de soin dans l'écriture aussi (on dirait parfois un roman "pulp"). Amusant tout de même.