Casque d'or (1952) de Jacques Becker
Après le polar (du même Becker) à la française gabinisé où l'on passe vingt minutes à se brosser les dents (Et Dieu sait pourtant que je respecte le dentifrice, dieu le sait, mais parfois trop c’est trop), on se retente du Jacques Becker (que l'on aime bien, évidemment) pour voir si ce Casque d'or, vu et revu par le passé, se révèle tout autant apte à vous filer des rhumatismes. Ou pas. Eh bien quitte à, à nouveau, en faire bondir plus d'un (on est payé pour faire chier après tout, et puis pas cher), le sourire enjôleur qu'on connaît par cœur de la Simone est encore parvenu à faire son petit effet - alors que la sempiternelle moue de Gabin m'avait laissé sur le flanc. Située à la fin du siècle (le XIXème of course), l'histoire possède dès le départ un certain charme. Sans que l'on tombe dans la reconstitution historique lourde, on prend un certain plaisir à voir ces charpentiers ceints d’une écharpe ventrale, ces petits bals ou ces cafés populaires où se côtoient masse ouvrière laborieuse et bourgeoisie grand crin (les uns ne peuvent sacquer les autres mais les deux petits mondes se côtoient en se renvoyant des sourires d'apparat), ces immenses maisons d'arrêt toute noires avec guillotine vintage. Et les rues de Paris qui semblent avoir repris tout leur cachet. Mais l'essentiel reste Simone. Et Serge.
Serge Reggiani n'est peut-être pas physiquement une masse, mais sa moustache tombante et son regard franc en imposent. Ce petit charpentier est pris de haut par le gang de Leca (Claude Dauphin, le parfait requin) mais il n'est pas le dernier pour faire le coup de poing ou planter un couteau. Dans le dos, certes, mais sans avoir d’autres options. Le traître, bien sûr, ce n'est pas lui, mais il se retrouve embrigadé avec des malfrats à cause des beaux yeux de la Simone. Dès que la Simone pour son regard laser et son sourire rieur sur un Serge droit dans ses bottes, on sent qu'on tient là une histoire d'amour d’anthologie. Il y aura des incompréhensions, des obstacles, des coups bas mais ces deux-là sont faits l'un pour l'autre. On respire à pleins poumons avec eux lorsqu'ils se retrouvent enfin à la fraîche chez la mère Eugène. Simone, au lever, cheveux défaits, est belle comme le jour et le Serge, dans cette ferme, la couve du regard comme un œuf. Malheureusement, ce salopiot de Leca, va tout faire pour l'impliquer dans une histoire crapuleuse – tout cela pour lui voler Simone. Un type sans principe face à l'honnêteté faite homme cela ne peut conduire qu'à la tragédie. La Simone joue déjà ici, dix-sept ans avant L'Armée des Ombres, celle qui est prête à tous les sacrifices pour sauver des prisonniers - le sauvetage est un peu bancal mais réussit malgré tout ; cela pourrait sonner la fin des emmerdes pour ce petit couple bien mignon, mais c'est l'heure de la vengeance qui a sonné. Et Serge Reggiani, fallait pas le titiller - il tire sec et droit, comme un Corse.
Ambiance fin de siècle avec gabegie de moustaches, couple phare étincelant, salaud taillé dans de la bonne souche française, flics aveugles et corruptibles incapables d'instaurer véritablement l'état de droit. On est chez les voyous mais on ne les voit jamais faire de coups (pour danser et lever le coude, là par contre, ça y va) et on sent très bien dès le départ que ce "polar' beckerien va très rapidement tomber dans la bonne vieille romance comme on les aime (aaah ces lits à la campagne avec ce linge blanc immaculé et ces oreillers de trois tonnes et demi ; dedans, tu ne peux avoir qu’un sommeil de plomb). La Simone, toujours un petit sourire coquin aux lèvres irradie mais n'est pas non plus la dernière pour jouer les guerrières. Les baffes, une nouvelle fois, pleuvent, les dialogues sont diablement osés voire rustres pour mes frêles oreilles ("Je l'arrangerai bien, la salope" - ben dis donc ! Certes, il s'agit d'une bourgeoise mais c'est pas un langage) et du poil taillé au millimètre. Un classique tragique et romantique cousu de fil d'or.