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Shangols
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28 novembre 2018

Le Poirier sauvage (Ahlat Ağacı) de Nuri Bilge Ceylan - 2018

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Toujours fin et délicat, le Nuri, qui nous revient avec un film qui lui ressemble tout en s'éloignant un petit peu de ses inspirations traditionnelles. Cette fois-ci, il s'intéresse à Sinan, jeune plein d'ambition, qui revient après ses études dans son village natal. Le gars a depuis écrit un roman, et cherche à le faire éditer, c'est-à-dire à réunir la somme qui lui manque pour accéder, il en est sûr, à la notoriété. Il retrouve là sa famille, et notamment un père assez fantasque (le gars rigole tout le temps), complètement asservi au jeu, qui gaspille l'argent de son salaire de prof au PMU. Sinan, si son roman ne voit pas le jour, est condamné à suivre les traces de ce père, à devenir prof, ou au pire à partir pour l'armée. Le film est constitué de ses errances dans ce village famélique, et de ses rencontres entre espoirs déçus (une fiancée qu'il a laissée filer) et ambitions orgueilleuses (un écrivain célèbre essuiera ses rodomontades), entre discussions philosophiques (l'imam du coin, résigné et fier de l'être) et mise au point familiale : tout tourne effectivement autour de ce père démissionnaire, sorte d'anti-modèle de Sinan mais qui va au cours du film montrer la part de liberté contenue dans son refus des règles sociales.

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La première chose à noter, c'est que le film est magnifiquement mis en scène. Dès la première rencontre avec la jeune fille triste, on sent combien chaque plan est chronométré, combien chaque cadre est calculé, combien chaque "accident" de la nature est compris et inclus dans le film. Les plans sont très longs la plupart du temps, puis aux moments les plus bouleversants pour Sinan, accélèrent jusqu'à ne durer parfois qu'une fraction de seconde, variant les angles et les points de vue. Le dialogue avec les deux imams est un modèle de cadrage, étrange ballet de plans larges et de plans rapprochés qui non seulement inclut les personnages et leur parole dans un espace, mais en plus déploient une métaphysique secrète dans ce qu'ils disent. Même dans les scènes les plus simples (la rencontre avec l'écrivain), Ceylan use de toute une grammaire de champ/contre-champ qui est éblouissante. Entre ces scènes fondamentales, il filme surtout les déambulations de Sinan dans son village ou les champs alentours, la répétition des plans amenant une sorte d'hypnose imparable : le gars est prisonnier de son village, de son passé, de sa misère sociale, et on sent dès le départ que son projet de roman n'est pas prêt de voir le jour.

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Le personnage principal est lui aussi magnifiquement écrit : prétentieux, fat, imbu de lui-même, bêtement binaire, il est pourtant toujours attachant, parce qu'il est juste, et sa très lente métamorphose vers la compréhension du père est gérée en maître par l'acteur et par le cinéaste. On est happé par ces conversations à rallonge, souvent pointues (le dialogue sur la religion dure 20 bonnes minutes à vue d'oeil), par ces déplacements de champ en champ, par la lenteur très mesurée du film, qui arrive à rester captivant, et souvent drôle (!) malgré l'apparente austérité de la chose. Oui, messieurs-dames, c'est la grande entrée de l'humour dans l'univers de Ceylan, voilà qui change et voila qui fonctionne parfaitement : Sinan est souvent ridicule, son père souvent pitoyable, les situations souvent absurdes, et si on n'est pas non plus chez Woody Allen, ces petits traits drolatiques sont bienvenus. Sinon, c'est l'ambiance tchekhovienne de rigueur, une sorte de mélancolie touchante, de douce souffrance qui marque. C'est dans le scénario qu'on a deux ou trois réserves, notamment quand le film se fait un peu convenu sur la fin dans les rapports avec le père, qui se révèle "forcément" autre que ce qu'on a cru qu'il était depuis le début. Ceylan veut conclure sur une note d'espoir et tombe un peu dans les conventions du genre. Ce qui empêche Le Poirier sauvage d'être un aussi grand film que Winter Sleep, mais ce qui n'empêche pas qu'il faut voir ce long cheminement nostalgique à tout prix. (Gols 08/09/18)

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Toujours admiratif de l'artisan Ceylan, de sa façon de jouer avec toute la grammaire des plans et de monter savamment ses films. Tout à fait d'accord avec ce qu'en dit Gols sur la forme. Sur le fond deux-trois petites choses quand même à préciser ; d'une part la donzelle n'est pas l'ancienne fiancée de Sinan (mais celle de son pote avec lequel il aura juste après une engueulade), d'autre part la discussion avec l'écrivain n'est qu'un rêve de Sinan (lorsqu'il rentre chez lui dans le bus, après l'examen). Je dis cela car ce dernier événement éclaire à mes yeux une facette de ce personnage contestataire : Sinan semble particulièrement remonté lors de cette longue séquence, reprochant à cet écrivain populaire certaines concessions, certaines facilités... Une discussion à bâtons rompus où notre héros apparaît pour une fois bien courageux pour défendre son opinion - c'est peut-être justement parce que c'est un rêve... Si Sinan, sûr de son fait, fat à point, jette un regard un rien dédaigneux sur ses contemporains, il peine souvent à l'exprimer et à se montrer persuasif... La jeune femme voilée l'embrasse sans qu'il ne trouve finalement rien à lui redire, à lui reprocher (ses beaux discours sur l'amour s'envolent très vite avec le vent), l'imam qui avait pris au grand-père de Sinan deux pièces d'or ne se voit pas vraiment sermonné, le maire qui lui avait ouvert la porte (mais qui se cache derrière des procédures d'un autre temps) ne se voit de même signifier aucun reproche... Bref, s'il a des convictions, s'il trouve assez facile notamment d'accabler son père, il a bien du mal à imposer réellement ses vues... Confronté à de multiples enjeux quand il est de retour chez lui (vie sentimentale, politique, religieuse...), Sinan, frais émoulu de l'université et tout fier d’être gradué, apparaît surtout comme un beau-parleur aimant à dénigrer les autres mais incapable de faire preuve d'assurance, de courage... Il ne trouve d'ailleurs l'argent pour éditer son propre livre qu'en exploitant les richesses des autres (le livre ancien dans la demeure de ses parents, puis le chien de race de son père...). Cet être en pleine formation regarde un peu de haut son bled et les gens qui y sont restés mais ce sentiment de supériorité ne repose finalement pas sur grand-chose... Ses belles-paroles ont un peu tendance à s'effriter (comme la statue sur le pont) et notre petit gars, bien malin au départ (mais dont le bouquin n'intéressera absolument personne... si ce n'est son père qu'il conchie tant), se rapprochera progressivement des siens.

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Les déambulations de Sinan dans sa ville natale sont toujours filmées avec un grand soin (beaucoup aimé cette séquence où il est pris de dos), des déambulations qui semblent parfois s'égarer dans des ruelles labyrinthiques ; Sinan tourne en rond, aussi bien physiquement que mentalement : bien beau de reprocher ceci ou cela aux autres, mais en quoi sa propre vie est en soi plus intéressante, plus défendable ? Sinan s'accroche à son pauvre bouquin comme un aveugle à son labrador mais va devoir également déchanter ; il lui reste encore à creuser son propre sillon, s'il veut parvenir un jour à s’imposer. Sa petite pointe d'arrogance reste bien gentille en soi (puisqu'il est jeune) mais risque de ne pas le mener bien loin (terrible cauchemar du père sur la toute fin qui voit son fils comme un grand dépressif en puissance). Le parcours d'un homme filmé, comme toujours chez le cinéaste turc, de façon très ample, un film sans doute un peu bavard mais toujours foncièrement intelligent (on n'est pas dans des répliques à deux balles), une œuvre-expérience qui permet de se poser des questions, que l'on se reconnaisse ou que l'on eut pu se reconnaître dans Sinan - ou pas. Un auteur toujours autant impressionnant par sa maîtrise de l'écriture et de l'esthétisme cinématographique. (Shang 28/11/18)

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Commentaires
N
Sinan s'est-il pendu ou est-ce un cauchemar de son père ?
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