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31 août 2018

LIVRE : L'Abattoir de verre (Moral Tales) de J.M. Coetzee - 2017

9782021402391,0-5177673En vieillissant, Coetzee devient de plus en plus sobre, et même s'il n'a jamais été baroque, on ne peut que remarquer le formidable travail d'épure de cet Abattoir de verre, curieux projet dont l'éditeur français ne nous dit rien. Il semblerait que ce livre soit le résultat de plusieurs nouvelles, publiées entre 2003 et 2017, et que le bougre aurait rassemblé pour en faire un tout : un portrait d'une écrivain vieillissante, qu'on voit là à différentes périodes de sa vie, depuis sa confrontation avec un chien dans sa jeunesse jusqu'à sa posture face à la mort devenue vieille. En tout cas, chacun de ces textes est empreint d'une curieuse sérénité, et surtout est écrit avec une économie de moyens qui fait honneur au brave Coetzee. Ça a pu donner de la transparence totale (Trois histoires), mais ici le résultat est impeccable : le personnage, qu'on voit se dessiner presque par la bande, à renforts de dialogues qui frôlent le presque rien et de monologues concernés, par de simples postures face à la vie, existe fortement, et l'auteur le charge d'une personnalité très attachante. Loin d'être un livre de développement personnel (ce qu'il aurait pu être, la réflexion morale étant au coeur du bouquin), il s'avère être une très belle réflexion sur la sagesse, sur la mort et sur le rapport aux animaux, écrit dans une langue minuscule mais prégnante.

Le premier texte annonce parfaitement la couleur : une jeune fille passe tous les jours en vélo devant une propriété gardée par un molosse, celui-ci aboyant avec haine à chacun de ses passages. Quand elle décide de régler le problème en tentant d'apprivoiser la bête, elle se rend compte que les humains (ses maîtres) sont plus hostiles encore que le chien. Ce rapport aux humains et ce rapport aux animaux marquera toute la vie de cette Elizabeth Costello, qu'on retrouve ensuite vieille et en dispute incessante avec ses enfants : eux craignent pour elle et veulent qu'elle vienne habiter avec eux ; elle ne rêve que de mourir seule, loin de tout, et dans ses derniers jours élève des dizaines de chats, héberge l'idiot du village, et entreprend un curieux projet d'abattoir de verre, où les hommes pourraient contempler chaque jour leur cruauté envers les animaux. Un véritable esprit libre, anti-conventionnel, qu'on découvre par petites touches, à travers des dialogues et de longues réflexions millimétrées, à travers aussi les dernières pages qu'elle veut laisser derrière elle à l'heure où Alzheimer frappe à la porte. Le personnage est formidable, frondeur, les deux pieds bien sur terre et en même temps doté de cette fantaisie que les bien-pensants associeront à la folie. Face à elle, ses enfants, classiques, aimants, qu'on comprend parfaitement mais qu'on regarde toutefois avec pitié tant ils sont conventionnels. Et ces très belles pages sur les animaux, sur la présence ou non d'une âme en eux, sur la nécessité ou non de laisser une trace sur Terre, sur la beauté de la solitude et du dénuement. Coetzee, sous ses dehors de petit livre sans façon, réalise un texte secret et fin, discret et nu, qui émeut plus souvent qu'à son tour, d'une écriture hyper-maîtrisée, épurée, un peu comme un Carver qui aurait les deux pieds plantés dans la réalité d'aujourd'hui. Délicat et très beau.

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