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Shangols
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2 juillet 2021

LIVRE : A son Image de Jérôme Ferrari - 2018

9782330109448,0-5210174Jérôme Ferrari commence à s'user un peu aux articulations avec ses éternelles histoires solennelles de maquis corses et de destins terribles. Son livre est toujours bien écrit, irréprochable au niveau de la dignité des personnages et de l'ampleur de la trame, mais on s'y fait poliment chier, autant le dire. Cette fois, il s'attaque à une photographe corse, embauchée dans le journal local pour couvrir les micro-évènements de l'île, incapable de s'extraire de son milieu de terroristes à petits bras, alors qu'elle rêve de photos de guerre à l'autre bout du globe. Elle ira faire un tour en Yougoslavie pendant la guerre, et y ramènera une expérience entre excitation et horreur. On le sait au tout début du livre : la fille est morte, et on va suivre les épisodes de son enterrement, mené par son parrain et oncle devenu prêtre. Au rythme du requiem, en 12 chapitres comme autant d'étapes de chemin de croix, celui-ci va retracer la brève vie ratée d'Antonia, et décrire la chape de plomb qui pèse sur la société corse des années 90, les années FLNC et leurs rodomontades puériles, qui enferment les gens dans un destin petit alors que leurs ambitions sont immenses. Le roman explore aussi subtilement les parallèles entre l'art de la photo et le réel, l'éthique des photographes de guerre, flirtant comme toujours avec des thématiques sur l'orgueil et la sincérité, la vérité et la fierté.

Tout ça est bel et bon, mais c'est dans l'écriture que le bougre atteint cette fois ses limites. La phrase est complexe, retorse, longue, sinueuse, maniant la ponctuation en orfèvre... autrement dit un peu vieillotte et souvent inutilement tarabiscotée. Le ton général, totalement privé d'ouverture ou de respiration, est au deuil et à l'élégie, mais reste uniforme et uni, comme si Ferrari avait eu du mal lui-même à se dépêtrer de son écriture habituelle, trop pompeuse à plein d'endroit, à la limite même du pompier. Ça y va du grand sentiment et de la comparaison grandiloquente sans aucun sens de la mesure, et la construction même du roman apparaît souvent figée par les choix de départ : le découpage raide, la prière qui vient ponctuer l'histoire, le choix du point de vue du parrain qui s'avère mauvais, et en même temps l'inscription de la trame dans une série de photos. On comprend bien ce qu'a voulu faire l'auteur, on apprécie même l'ambition énorme de l'entreprise, mais tout ça finit par étouffer trame et personnages sous un poids de mots trop grands pour eux. Petit à petit on décroche de ce bouquin trop "produit", un peu comme un disque beau au départ mais qui aurait abusé des arrangements tonitruants et des cuivres et en ressortirait inécoutable. Ferrari est bon, reconnaissons-le, mais là il s'est laissé emporter par ses tendances lyriques, et, pour raconter l'échec d'une vie, il a utilisé des instruments trop lourds. (Gols 24/08/18)


L'ami Gols est un peu sec comme un saucisson corse vis-à-vis de ce livre dont il souligne en effet quelques menus défauts (qui trop embrasse mal étreint - d'accord sur ces dorures liturgiques un peu redondantes et ce personnage témoin de parrain-prêtre qui trouble un peu les points de vue) sans trop se lâcher sur ses diverses qualités (voilà ce qu'on est en droit d'appeler une phrase introductive souple et sereine). J'avoue avoir autant aimé ce concept de photo sans photo (à une époque où les écrivaillons modernes ne peuvent s'empêcher d'ajouter des photos de famille), que ce portrait d'une jeune femme en free lance, constamment à la recherche de sans trop savoir quoi (et qui a comme le don de ne pas se trouver là au bon moment pour la bonne photo ou qui n'ose pas la faire quand le moment devient opportun), tout comme ces subits décrochages dans la trame pour évoquer le parcours de photographes plus aguerris, tout comme cette vision de ces guéguerres corses entre ânes bâtés (comme si ces règlements de compte était plus des enfantillages d'abrutis que la célébration d'une quelconque  virilité mystérieuse encagoulés). Ferrari n'a peut être pas le lyrisme d'un Gaudé et ce sens de la construction clinique mais il ne cherche pas non plus à faire de ces gens, si communs au fond, des héros. Toute l'absurdité de ces combats corses (la mort de Pascal alors même qu'il s'était retiré du milieu) puis le carnage yougoslave (où les atrocités se succèdent) servent de parfaite toile de fond à l'histoire de cette femme si joliment terre-à-terre, totalement anti-héroïque, comme artistiquement morte-née. Ses hésitations amoureuses entre cet amour d'adolescence (son type "modèle" qu'elle ose quitter le moment venu pour retrouver sa liberté) et ce poursuivant peureux (mais tout aussi amoureux d'elle, comme un ersatz plus docile) traduisent parfaitement les tâtonnements d'une vie où les déceptions et les déroutes sont plus courantes que les moments de grâce (comme si la parfait amour était aussi difficile à trouver que la photo parfaite). L'écriture de Ferrari se fait volontiers ample (comme on le dit d'un vieux pull en laine, voyez ?) sans pour autant multiplier les acrobaties stylistiques (une ponctuation très fluide qui m'a pour ma part plutôt plu). Un beau portrait de femme à la vie brusquement et bêtement avortée qui garde tout le charme de ces anciennes photos ratées.   (Shang 02/07/21)

Commentaires
E
Bonjour, <br /> <br /> Malgré une entrée en matière un peu maladroite car certains pourraient y déceler une pointe de mépris envers la Corse, je trouve votre article intéressant bien que ne partageant pas votre analyse. <br /> <br /> Ce dernier roman n'a ainsi pour moi rien d'uniforme, Jérôme Ferrari y travaillant au contraire sans cesse la discordance tant dans le contenu (entre les paroles liturgiques et les échos ou interprétations qu'elles suscitent, entre la forme abrégée du cliché et la “totalité cachée” dont il procède …) que dans l'écriture. Une écriture mariant le tragique et le comique, le grotesque, et alternant de très nombreux passages resserrés aux phrases courtes et haletantes dans un vibrant présent de narration, et les amples et complexes périodes lyriques dont l'auteur a le secret. <br /> <br /> Quant au point de vue narratif du parrain, à la fois intérieur et surplombant tel un Dieu omniscient, je le trouve personnellement judicieux dans un livre qui traite non seulement du rapport des hommes au monde mais à son au-delà, de la transcendance. Un livre qui s'avère certes le récit d'un double échec ( celui d'Antonia et du mouvement nationaliste) mais aussi à mon sens une prière...<br /> <br /> (longue analyse à venir sur mon blog)
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