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Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
13 décembre 2018

Under the Silver Lake de David Robert Mitchell - 2018

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Un peu dérouté pour tout dire par ce film étrange, brillant par certains côtés et un peu confus voire mégalo par d'autres. Après le déjà cérébral mais grand It Follows, Mitchell a tendance à se prendre un peu pour un petit génie ; mais ça tombe bien : il l'est. On a donc droit à un puissant exercice de style, à une mise en scène absolument parfaite, même à un scénario souvent très beau, mais d'un autre côté le gars semble avoir eu les yeux un peu plus gros que le ventre, en tout cas celui de son spectateur. Il s'accorde 2h30 pour nous raconter une histoire hyper-référencée sur les coulisses d'Hollywood, travaillant sur l'usine à rêves à travers un faisceau de scènes codées et cryptiques, et c'est un peu trop : on se dit qu'avec un matériau aussi ludique et anecdotique, 1h30 aurait suffit, et que Mitchell s'est un peu pris les pieds dans ses images clinquantes et lisses. Malgré tout, on ressort de cette longue séance avec le curieux sentiment qu'il a touché quelque chose de juste, et qu'il nous en a donné pour notre argent : c'est glamour, drôle, parfois assez profond, ça apaiserait n'importe quel cinéphile par les citations qu'il manie en maître, et c'est brillant dans la forme. C'est aussi superbement joué par un Andrew Garfield à la fois distancé et complètement investi, ce qui n'est pas rien.

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Dans la première heure, on est pas loin d'ailleurs de crier au génie pur. Sam est un glandeur qui vit à Hollywood et passe ses heures creuses à mater à la jumelle sa vieillissante voisine peu pudique. Mais son voyeurisme le fait s'attarder cette fois-ci sur la jeune fille d'à côté, un fantasme sur pattes avec laquelle il va vivre une soirée de flirt prometteuse. Quand il veut la revoir, la belle a disparu, laissant au mur un curieux sigle. Dès ces premières minutes, on a rassemblé le cinéma de Lynch, celui d'Hitchcock, celui de Cronenberg, avec même des allusions glamour à Marilyn Monroe. Loin de plier sous ces références, Mitchell s'en empare pour brosser alors une histoire qui rend hommage tout en se servant des motifs de ces maîtres : le gars se lance à la recherche de la jeune femme fatale, et va alors pénétrer dans un monde lisse en surface, mais entièrement codé en profondeur. Décrypter le monde, ça va être le jeu auquel il va s'adonner en même temps que nous, s'enfonçant de plus en plus dans un non-sens très maîtrisé qui l'emmènera dans une filature digne de Vertigo (la plus belle scène, accompagnée d'une musique hermannienne de toute beauté), dans un cabaret interlope façon Mulholland Drive, dans une abstraction digne du Jarmusch de The Limits of Control, enfin bref dans tout ce que le cinéma contemporain a pu produire comme imagerie torve liée à Hollywood. Avec toujours cet humour absurde porté en grande partie par son acteur très en forme, et cette façon de légèrement tordre la réalité pour en donner parfois une vision proche du film d'horreur (les aboiements des actrices, les apparitions superbement brutales de l'homme déguisé en pirate, la scène du Musicien Ultime).

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Pendant cette première heure, on est impressionné par le culot de Mitchell, qui ne prend aucune pincette pour reproduire quelques grandes scènes classiques. C'est très fun, intelligent, plein d'idées, et on accepte sans problème d'être perdu dans cette trame assez proche d'un Alice au pays des merveilles sous acide. On voit un peu le projet : mêler à l'imagerie hollywoodienne classique des éléments pop contemporains, transformer les images mythiques des classiques en objets fantasmatiques 2.0, transformer Alfred Hitchcok ou Billy Wilder en cinéastes d'aujourd'hui. C'est bien. Mais Mitchell ne sait pas s'arrêter : même une fois qu'on a compris le message, il pousse au-delà du raisonnable son bouchon, et enterre son film sous un onirisme facile, qui peut se permettre à peu près n'importe quoi dans les épisodes de la trame. D'un abri-mouroir pour les millionnaires de Los Angeles à un roi Lear de pacotille, le labyrinthe devient un peu trop confus, un peu trop en roue libre pour continuer à intéresser. La mise en scène est toujours brillante, le comédien toujours amusant, pas mal de scènes sont encore très réussies, mais la mécanique se grippe et on commence à s'ennuyer. Au bout du compte, un bidule assez ovniesque, mais victime de son propre système qui tourne en boucle, un vrai cinéaste qui s'est un peu pris pour un grand cinéaste. (Gols 23/08/18)

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Moui, assez en accord avec la chronique de l'ami Gols ; je rajouterai au niveau des clins d'œil du cinéastes à ses pairs, le petit côté rivettien par rapport à cette suite d'énigmes dans la ville et l'hommage poussé à mon vieux gars Borzage, deux références de haut vol. Le problème de Mitchell, avec toutes ces références accumulées, c'est qu'il n'est jamais aussi pervers qu'un Cronenberg, jamais aussi étrange et azimuté qu'un Lynch, jamais aussi profond qu'un Kubrick (le côté pénétration d'une entité secrète), jamais aussi maître du suspense qu'un Hitch, jamais aussi léger qu'un Rivette, jamais aussi romantique qu'un Borzage... Le film ne cesse de naviguer (avec un certain soin dans la mise en scène, c'est vrai, ainsi que de l'accompagnement musical) entre toutes ces différentes eaux et le projet, a priori si ambitieux au départ, se termine de façon aussi plate qu'une omelette - notre héros, gros branleur qui est allé jusqu'au bout de sa (qué)quête, se tape le film conseillé par sa mère (bon choix, mais on ne voit pas non plus vraiment le rapport entre l'univers de Mitchell et celui de Borzage) et sa voisine (entre deux âges, comme on dit, poliment hippie et libertaire) : toute cette divagation (des tueurs de chien gerbant à la secte polygame gerbante) pour un résultat un peu terne... Ces multiples références cinématographiques permettent au film de s'accrocher aux branches, de maintenir un certain niveau d'attente, mais la chute est brutale ; on garde finalement surtout en tête ces allers-retours constants dans ces fêtes de bimbos (un jour, il faudra définitivement se mettre d'accord sur la taille minimum d'un short... sinon, après, ne vous étonnez pas si tout fout le camp), avec des donzelles relativement faciles (call-girl, it girl, hit girl, girl next door - de la chair avantageusement exhibée et des femmes toujours partantes a priori pour un ptit coup sur le pouce) qui ne font pas preuve d'une capacité de réflexion remarquable... Un petit côté eighties assez glacé et glaçant à la Bret Easton Ellis et ce malgré, disais-je, des références à des univers cinématographiques plus anciens. Mitchell n'est pas manchot pour livrer quelques coups d'éclats cinglants (le compositeur explosé, la jeune femme "trouée" dans le réservoir, la mangeuse de cadavres...) mais on attendait un peu plus de liant entre toutes ces séquences ; il y a la surprise, certes, parfois, mais il y a surtout cette impression que cela part un peu dans tous les sens avec pour seul prétexte l’idée suivante : le type, désoeuvré, s'invente des fantasmes divers et variés (sa copine en teutonne puis en infirmière notamment), crée - histoire de passer le temps et de "se faire" croire à lui-même qu'il ne passe pas à côté de tout - une sorte de "petit jeu" pour se retrouver dans la peau d'un détective auquel tout échappe (ohoh cela se corse... comment tout cela va-t-il finir ?!) mais ce labyrinthe pour cinéphile paraît au final un peu vain et forcé. Oui Mitchell a des idées, sait filmer, sait surprendre, mais peine à donner à ce bazar un peu foutraque une identité forte, une cohérence profonde - un petit jeu finalement très innocent (ne serait-ce d’ailleurs que sexuellement) et un peu superficiel.  (Shang 13/12/18)

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