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1 août 2018

LIVRE : J'étais Dora Suarez (I was Dora Suarez) de Robin Cook - 1990

9782743636227,0-3163213Que voilà du roman noir au cordeau, un de ces grands moments de désespoir que le genre sait (trop) rarement nous réserver, un bouquin hanté et sombre, qui semble prendre en charge l'histoire du Mal à lui tout seul. Robin Cook (à ne pas confondre avec son homologue américain) sait comment vous attraper point tant par l'intrigue, que par la tristesse infinie de ce qu'il raconte. Ici, un triple meurtre sanglant effectué au coeur de Londres, avec parmi les victimes la trouble et troublante Dora Suarez, pute abandonnée de tous, humiliée et torturée dans des soirées de bourgeois, sidéenne jusqu'au plus haut point. Dans le sidérant premier chapitre, elle est massacrée à la hache par un assassin monstrueux, véritable ramassis de psychoses tordues, de pulsions gore et d'insensibilité latente. Rien que par la création de ce personnage si effrayant qu'il en devient presque mythologique, le livre marque d'entrée de jeu des points : le style est ample, lyrique et pourtant réaliste jusqu'au malaise. Cook préfère décrire les motifs rose bonbon de l'horloge plutôt que le cadavre explosé à l'intérieur, préfère s'attarder sur les méandres barrés du tueur que sur la vérité de ses actes, comme une vision brouillée du monde. Mais déjà, dans ces pages, il y a le personnage de Dora, victime expiatoire de la société, véritable victime sacrificielle assouvie aux pulsions dévastatrices des hommes. A la fin de ce chapitre éprouvant pour les nerfs et supérieurement écrit, on sait qu'on est dans le grand polar à la Dantec ou à la Ellroy, qui savent comme Cook ajouter leurs fantasmes SM et leur culpabilité d'êtres humains à l'intrigue policière.

Ensuite on s'intéresse au flic de service, sorte d'alter-ego monstrueux de l'assassin du début. Sous ses apparences de détective classique se cachent là aussi une psychologie bien sombre, une sorte de soif de rédemption couplée à une pulsion de sauveur du monde, compliquée en plus par son asociabilité, sa brutalité et son absence de pitié. Il tombe immédiatement raide dingue de Suarez, découpée sous ses yeux, et fait de cette affaire le symbole de sa quête désespérée pour anéantir le Mal sur terre. Après présentation de ces trois caractères hyper forts (le meurtrier, la victime, le flic), la trame se fige de façon extraordinaire : tout son centre est occupé par l'interrogatoire verbeux de suspects sans intérêt, plein de crânerie, de menaces, de formules. Comme si Cook voulait arrêter tout pour faire monter l'horreur de cette situation. C'est vrai qu'on peut se lasser de ces longues pages qui piétinent et se répètent, moi je les ai trouvées spectaculaires. Le roman, entièrement concentré sur son début et sur sa fin, laisse filer son centre comme si toute cette enquête ne servait à rien (et il s'avère qu'effectivement elle ne sert à rien, la solution de l'énigme tombant par hasard). Quand arrivent les dernières pages, extraordinaires, on plonge tout entier dans le noir de chez noir. Cook fait le portrait d'un homme qui veut porter le poids du monde sur ses épaules, d'un autre qui représente son horreur absolue, et au milieu d'une femme qui en est la victime exemplaire ; ce qui transforme J'étais Dora Suarez en livre politique. Vous en connaissez beaucoup, des polars qui se terminent par des phrases comme ça : "Mais mes larmes n'étaient pas pour moi - elles étaient pour la colère légitime du peuple." ? Un immense thriller torturé et glauque, dopé par une écriture géniale, un "roman en deuil", comme dit si bien son auteur.

Commentaires
B
J'en ai pas lu énormément, de polars dans ma longue(!) existence. Mais celui-là, je m'en souviens. Excellente chronique, les gars. Bonne fin d'été. Liliane Breuning
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