La Passion de Jeanne d'Arc (1928) de Carl Theodor Dreyer
Jour saint sur Shangols : après la vision de la version apaisante de Rossellini sur St François d'Assise, un autre chef-d’œuvre de la chrétienté, le Jeanne d'Arc de Dreyer. Portée par une Renée Falconetti littéralement en état de grâce (les constants gros plans sur son visage permettent de montrer son auréole - j'invente rien), cette parodie de procès (disponible, nous rappelle le pré-générique, dans la chambre des députés : sacré document authentique !) est véritablement hypnotique. Pourtant, il ne se passe que peu de chose, le suspense est maigre, les paroles sont minces (quelques questions triviales de ces ersatz de juges, vils personnages incrédules... pendus aux lèvres de Jeanne : ils ironisent tout au long de leur question, mais prennent malgré eux au sérieux les réponses de la Pucelle) et l'on reste définitivement scotché tout du long. Le style de Dreyer, à n'en point douter ici, est absolument remarquable, maître cinéaste dans l'art des contre-plongées (sur ces têtes d'apaches de juges) et des plongées (sur le visage de Falconetti les yeux toujours tournés vers le ciel), maître cinéaste dans l'art du montage (des plans de moins d'une dizaine de secondes qui boostent les plans/contre-champs), dans l'art du panotage (sur cette foule ou ces juges aux aguets) voire du travelling (droit comme dieu sur sa croix lors du plan d'ouverture). Face à ces têtes bovines, chevalines, canines ou tortines (de "tortue" – si, ça existe), face à ces juges éructant, le regard dur, bête, vide, il y a notre Jeanne, béate, qui exprime par ses pupilles, ses tremblements de cils, ses larmes, toutes les émotions du monde. Et c'est terrible.
Oui, pas de surprise dans le scénar (même si Jeanne abjure pour se sauver des flammes avant de revenir sur sa position lors d'un excès de foi), mais une tension immensément palpable lors de ce jugement dernier. Les juges usent de tous les coups les plus bas (chantage, menaces, mensonges… ils osent même faire venir des instruments de torture - cette roue lardée de piquants ne me dit rien qui vaille : comme Jeanne, je crois que j'aurais tourné de l'œil sans jamais faire mine de me réveiller) pour faire sortir la Jeanne de ses gonds, de sa voie, pour la faire renier ces voix qu'elle entend et cette mission donnée par le Ciel pour bouter ces Anglais. Incrédule face aux questions des juges souvent totalement à côté de la plaque, Jeanne réfléchit avant chaque mot qu'elle lâche comme une révélation. La caméra de Dreyer la scrute comme pour mieux mettre en avant cette héroïne au visage lisse et comme éclairée de l'intérieur. Aucune musique, un décor plus austère que la salle de bain d'un anachorète, ce filme aimante notre regard par ce soin constant apporté à la mise en scène, au montage, au jeu des acteurs dont chaque coiffure, chaque frôlement de sourcil, chaque postillon est en soi tout un programme, une machine à émotions. On se met à son tour à genou devant son écran pour que la Jeanne ne soit pas amenée au bûcher et l'on se prend comme la foule, en colère, rassemblée face au bûcher, des fléaux dans les côtes : comment en arriver à incendier cette âme si pure, si naïve, si illuminée, si combattive ? Le secret de la Pucelle part en fumée et Dreyer lui rend cinématographiquement le plus beau des hommages. Hâte de revoir Gertrud, c'est dit.