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22 juin 2018

LIVRE : Aménagements successifs d'un jardin, à C., en Bourgogne de Jean-Marc Aubert - 1981

9791091504751,0-5309237Curieux bouquin qui sort dans cette nouvelle collection de l'éminente maison L'Arbre vengeur : un auteur inconnu (de mes services en tout cas) qui marche sur les pas de Borgès avec un texte assez barré, très maîtrisé et tenu, mais sent quand même son fou furieux. Pas étonnant que ce soit l'obsédé des mots qu'est Chevillard qui préface cette réédition ; il y a là-dedans la même folie, le même humour et le même souci obsédant pour le mot juste. Là s'arrête pourtant la comparaison : Aubert n'est pas Chevillard, et son texte, à force de chercher l'étouffement progressif de son personnage, finit par étouffer un peu également son lecteur. Voilà le principe : l'ami du narrateur achète une propriété, donc à C., et devient très vite obsédé par le jardin qui l'entoure ; au point d'entreprendre des travaux de plus en plus obsessionnels, de plus en plus chronophages, de plus en plus minutieux, pour le rénover. Assez vite, le bougre devient littéralement fou devant la géométrie parfaite qu'il recherche, l'harmonie secrète, répondant à une logique purement personnelle, qu'il cherche à atteindre. Jusqu'au dénouement assez effrayant, mélange d'épure totale et de retour sur soi. Car on le sent bien, ces travaux sont avant tout intérieurs, et, comme Borgès, les métamorphoses du paysage correspondent à un labyrinthe intime sans issue.

Sujet intéressant, oui, mais l'exécution manque clairement d'équilibre. Le style factuel de Aubert rend le texte presque scientifique, totalement dépourvu d'affect, uniquement consacré aux descriptions un peu aride des transformations du jardin. Le regard du narrateur sur son ami est certes de plus en plus tourmenté, mais l'écriture même du roman semble gagnée par cette rigueur extrême, par l'austérité des paragraphes qui ressemblent parfois à une notice Ikea. Par-dessus tout ça, c'est vrai qu'on sent très bien le projet de l'auteur, malgré les mystères que cache la trame, on sent la part becketienne du roman, montrer l'absurdité qu'il y a à vouloir donner du sens à l'existence, l'obession de la répétition et de l'ordre, la folie cachée derrière l'ordinaire. Aubert sait utiliser un humour unique, presque pas drôle, assez sadique, qui repose non seulement dans l'absurde des situations, mais aussi dans le choix des mots qui, thème éternellement beckettiens, ne parviennent pas à exprimer correctement la pensée. Un beau projet, quoi, ambitieux et puissant, mais gâché par une écriture pas à la hauteur.

Ce texte est suivi d'un autre court roman de Aubert, plus intéressant, Argumentation de Linès-Fellow (1982) ; l'histoire d'un hémiplégique qui se met en tête, à l'instigation de son copain docteur et narrateur, de courir un marathon avec les valides. La course se transforme très vite en véritable odyssée, où la moindre souche, la moindre dune de sable, la moindre aspérité du sol, devient un obstacle infranchissable. Le gars s'accroche pourtant, pour des raisons parfois troubles (la gloire, l'envie de se faire plaindre, la folie qui le guette), et son obsession (grand thème visiblement de Aubert) finit par dépasser celle du narrateur, qui vire dans une relation ambiguë. Ce petit texte est plus aéré, moins torturé, plus drôle, plus "lisible" finalement que le premier. Peut-être parce que plus chronologique, plus en ligne claire, plus narratif ; peut-être aussi parce que Aubert y montre un humour plus direct, assez cruel, et que ses références (Molloy pour ce coup-ci) sont plus lisibles. On se dit quand même en refermant ce bouquin qu'on n'a pas tout à fait mis la main sur un grand auteur, mais que Aubert a au moins le mérite de travailler sur un terrain original.

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