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18 juin 2018

LIVRE : La Fille qui brûle (The Burning Girl) de Claire Messud - 2017

g00829Autopsie d'une amitié dans l'Amérique contemporaine. Messud a son ton bien à elle pour parler du sujet hyper-surfait du passage à l'âge adulte, et trouve sa voie et son originalité avec ce roman minéral, très joliment balancé et très juste dans ses personnages. Elle le fait à travers le destin de deux gamines inséparables, que la vie va pourtant séparer. Julia et Cassie (diminutif de Cassandra, c'est dire le tragique qui sous-tend ce roman) sont amies depuis la maternelle, et vivent de jolies petites aventures d'enfant dans la sombre forêt qui jouxte cette petite ville ordinaire jusqu'à la pénétrer (premier choc : le décor est magnifique, l'animalité et la sauvagerie se trouvant toujours en lisière de ces existences bourgeoises banales) : on va se baigner dans les bassins interdits, on fait les 400 coups, et on ira même pousser l'audace jusqu'à rentrer dans le lieu effrayant de l'ancien hôpital psychiatrique, pour une virée très trouble entre pulsions déjà sexuelles et film d'horreur. Ça, c'est la première partie, idyllique en surface mais sous laquelle couvent une violence et un sens du fatum déjà bien présents : avec précision, sans en rajouter, Messud dresse le portrait de la mère de Cassie, notamment, dont on ne saurait trop dire si elle est folle ou juste original. C'est surtout le portrait d'une amitié invincible comme on en connaît tous, un pacte à la vie à la mort entre deux fillettes touchantes qui vivent une vie à la Mark Twain, légère et excitante, mais confortable et bourgeoise.

Deuxième partie : l'amitié se fissure quand arrivent les premières expériences du lycée, amourettes, admirations et différences d'intérêt séparant nos deux gamines. Elles se voient toujours, mais Cassie devient une personne étrangère à Julia, qui a du mal à la suivre dans ses nouveaux goûts. Avec la maturité (l'importance des règles dans la vie d'une fille, incroyable) viennent les doutes, les questions, les renoncements. Là encore, Messud dessine avec une belle acuité les infimes changements qui opèrent en Cassie, et aussi en Julia, dont elle fait le témoin-narrateur de cette histoire, mais aussi la preuve "in vivo" de ce léger glissement. Comme beaucoup d'auteurs auxquels elle fait penser (Kasischke, Oates...), elle transforme l'émancipation des fillettes en épreuve physique, les corps changeant autant que les esprits ; chez Cassie, elle se traduit sous la forme d'un nouveau beau-père un peu trop envahissant (mais est-ce le cas ou n'est-ce que la vision parcellaire de Julia ?) et un conflit ouvert avec sa mère. Les virées de jadis se teintent de nostalgie, la vie file et les êtres se séparent.

La troisième partie enfin vient clore la boucle avec un sens de la mesure imparable. Pas de summum de violence, pas de grande tragédie sous la plume de Messud, qui reste dans le réalisme pur pour ce qui est des événements : juste une enfance qui s'achève assez misérablement sous les yeux de Julia, qui se rend compte subitement que la vie qui l'attend va être une chienne, que le monde est plein de prédateurs, de dépressions latentes, de malheurs et d'abandon. Très jolie résolution, mélancolique, violente sans éclat, qui vient conclure un roman à la fois poétique, doux, et raide dans sa vision du monde. Messud écrit un livre qui semble se passer dans les années 50, mais pourtant fortement ancré dans le monde d'aujourd'hui, avec les réseaux sociaux et les téléphones portables qui n'arrivent pas à éteindre cette part d'enfance innocente qu'on porte en nous. Et qui peut nous tuer par trop de nostalgie. Un beau livre triste, classique et humain.

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