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Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
6 mars 2018

Saint Michel avait un Coq (San Michele aveva un gallo) de Paolo & Vittorio Taviani - 1971

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Pas facile de faire la révolution dans l'Italie du XIXème siècle, surtout sous le regard cynique et amer des brothers Taviani. Giulio Manieri l'apprendra à ses dépends, dans ce conte à la fois onirique et brutalement réaliste signé par des cinéastes étonnamment désabusés. Première désillusion : le gars, chef d'une bande d'anarchistes, lance une révolte dans un village d'Ombrie, révolte qui va pas faire long feu. Les villageois se détournent, sa bande est décimée, et notre gusse se retrouve entravé entre deux flics, puis condamné à mort. Il se verrait bien en martyr de la cause, rêve de lendemains qui chantent avec lui en statue de mort pour la cause, il verrait bien son chemin vers le gibet tout chargé de gloire... mais il est gracié au dernier moment et condamné à dix ans d'isolement dans une geôle réduite à sa plus simple expression. C'est la deuxième désillusion. Dans sa solitude, il continue à s'inventer un statut d'icône et à organiser des réunions entre lui et des doubles fantasmatiques qui refont le monde. Mais lors d'un transfert, troisième désillusion, il va côtoyer un autre groupe de révolutionnaires, et se rendre alors à l'évidence : son nom est oublié, ses idées n'ont plus cours, sa rébellion n'est plus qu'un tas de cendres légèrement ringard, et notre gars sombre corps et bien dans l'amertume et la retombée sur terre. Plus dure sera la chute, et les Taviani, avec une cruauté quasi-sadique, observent cet homme jadis mythique faire le deuil de ses révoltes.

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On se souvient de ce cinéma très cérébral qui fleurissait dans les années 70-80, de ces films où tout est symbole, de ces Angelopoulos, Wenders, Schlöndorff... et Taviani, donc, qui transformaient tous leur scénarios en image et en allégorie. Saint Michel avait un Coq n'échappe pas à la règle : c'est du cinéma très millimétré, très intelligent, très "ciné-club" de rive gauche, où chaque détail semble vouloir dire 11000 choses, où chaque scène est un discours. Ça rend le film un peu étouffant, très formel en tout cas, et on voit bien que la couleur du costume, la forme de la fourchette, ou la porte à demi-ouverte, symbolisent une idée. Pas assez incarné, le film s'adresse au cerveau, à un clan de spectateurs au fait des arcanes politiques et des formes nouvelles de cinéma. Bon. Mais si on est en forme, et si on accepte cette forme un peu désuète et assez lourde, on apprécie ce film, d'une rigueur et d'une force assez bluffantes. D'abord parce que les frangins sont des cadreurs hors-pairs : tous leurs plans sont magnifiques, depuis les plus banals (les longues scènes assez austères dans la prison) jusqu'aux plus spectaculaires : un des premiers, qui montre un groupe d'hommes s'apprêtant à investir un village, magnifique profondeur de champ ; les belles scènes dans ledit village, tout en plans larges et en organisation de l'espace très millimétrée ; le splendide travelling le long des lagunes vénitiennes, qui met en valeur la petitesse et l'abandon des personnages, leur vanité surtout ; et la montée au gibet, qu'on peut lire comme un chemin de croix, resserrée sur Giulio et sa parole obsessionnelle. Le film est très beau, quoi, voilà, et cette forme très maîtrisée peut suffire à notre bonheur.

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Et puis, même si le film est un peu démodé dans sa manière de raconter, même si parfois on a l'impression d'être dans le Grand Cinéma d'Auteur, on ne peut qu'admirer le talent des brothers à tous les postes : direction d'acteurs (Giulio Brogi est excellent), sens de la durée, musique, tout est parfait. Y compris, ça doit être mon cynisme ricanant, le scénario : entre la comédie grinçante et la tragédie d'un homme seul, le film raconte avec lucidité la vanité des emballements politiques, la marche de l'Histoire qui broie les rébellions, l'impossibilité à se révolter réellement, l'acceptation... Confronté à un monde qui lui échappe et qu'il ne comprend plus, Manieri devient un personnage assez pathétique, en quête de reconnaissance et d'amour mais désespérément seul, ce qui est très bien rendu par les Taviani. Ils nous donnent en tout cas leur film le plus pessimiste, et Dieu sait pourtant qu'ils sont habitués au fait. Un bien beau film, au final.

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