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22 janvier 2018

LIVRE : Ma ZAD de Jean-Bernard Pouy - 2018

imagesJean-Bernard Pouy, pour une fois, est directement connecté à l'actualité, puisque au moment où le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes est abandonné, il sort un roman racontant la chose, à savoir le devenir d'un brave type ayant consacré plusieurs années de sa vie à militer activement au sein d'une ZAD, et qui se retrouve face au vide après le repli du gouvernement. Certes, son esprit anar pourrait être employé à un nouveau combat, ce ne sont pas les projets militants qui manquent, mais notre gars décide de tout lâcher et d'aller vivre seul loin du fracas du monde. Mais le livre est estampillé "Série noire" : ce sera donc sans compter sur l'ambivalente Claire, femme fatale, qui va l'entraîner malgré lui sur la pente de la vengeance d'un inceste. Les combats politiques de Camille se transforment peu à peu en lutte personnelle beaucoup plus louche, et ses espoirs de retraite vont se heurter à la salopitude de cette femme. Le roman raconte ainsi comment la révolte d'un type est ré-employée à des fins personnelles, comment un brave lanceur de pavé gentiment bio-friendly et inoffensivement activiste est rattrapé par son destin. Ça peut sembler sérieux comme tout : c'est sans compter sur l'écriture drolatique et joliment désuète de Pouy, qui arrive à faire du Michel Audiard en 2018 et à faire en sorte que ça passe brillamment. Le gars n'a pas bougé en 40 ans : son style très littéraire est rempli d'argot, de jeux de mots à deux balles, d'un humour à la Coluche qui en font tout le sel.

Certes, on tique un peu, au début, devant ces phrases démodées, ce personnage qu'on croirait sorti d'un film de Melville ; mais peu à peu, l'anachronisme du héros fonctionne, on découvre un mec pas à sa place et pourtant bien d'aujourd'hui, qui se moque de l'argent, de la réputation, de la consommation, qui n'aspire qu'à vivre libre, et qui utilise pour ce faire un langage plus tout à fait d'aujourd'hui, disparu depuis longtemps. Les références littéraires sont légion, témoins d'un temps qui n'est plus, et l'inadaptation au monde de Camille (notamment vis-à-vis des femmes) fait un joli effet dans la richesse du personnage. Le fait est que les formules de Pouy sont souvent brillantes, même les plus basiques, et qu'on aime retrouver cette écriture d'avant sur un sujet d'aujourd'hui. Il s'essaye à quelques acrobaties plutôt réussies (le dernier chapitre, écrit d'un souffle, sans point), la trame ne se perd jamais grâce à la sécheresse de style pour tout ce qui concerne les actes en eux-mêmes et les 30000 digressions, et on aime beaucoup la grande simplicité de narration. Tout est dans le rythme interne des phrases, dans l'esprit qui les anime ; tout est aussi dans la beauté du personnage, anarchiste d'un autre temps, amoureux de la communauté et en même temps farouchement indépendant, utopiste et concret tout à la fois, petit mec ordinaire sur lequel on projette aisément ses propres sentiments. Pouy réussit brillamment son roman de suspense, tout en nous faisant découvrir une personnalité attachante, dans un contexte politique partagé par tous transformé en vision légèrement nostalgique. Moi je dis bravo. Et j'ajoute qu'un type qui dit du bien du lac de Saint Andéol en Lozère (mon endroit préféré sur terre) ne peut qu'être un bon gars.

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