Voyage à travers le Cinéma français de Bertrand Tavernier - 2016
Un bon gros foutoir que ce docu "réalisé" par le bon Tavernier qui, en ses vieux jours, décide de rendre hommage non au cinéma américain qu'il chérit mais au cinéma français. L'occasion de voir sa cinéphilie, qu'il a immense, au service de ce cinéma qui n'eût pas encore l'heur d'une rétrospective complète. Eh bien le travail reste à faire. Tavernier est aux abonnés absents pour ce qui est de la construction de son film, réalisant un capharnaüm d'images, de souvenirs, d'anecdotes, qui ont bien du mal à coller ensemble. C'était peut-être le projet, après tout, l'ambition de parler de tout le cinéma français en 3h15 étant vouée de toute façon à l'échec. Mais là, le gars en fait un peu trop dans la nonchalance et la flânerie : privé de quelque ambition formelle que ce soit, passant sans vergogne du long hommage à un cinéaste à l'évocation d'un musicien, d'une déclaration d'amour à Jean Gabin ou à Melville à une interview de Tavernier en studio, d'une anecdote sur tel ou tel acteur à une critique de presse, le gars rate complètement l'occasion de réaliser une sorte d'encyclopédie personnelle du ciné hexagonal, collant bout à bout des courts-métrages qui n'ont rien à voir les uns avec les autres.
Prise telle quelle, chacune pour soi, chacune des séquences peut à la rigueur être intéressante. Tavernier met l'accent sur tel travelling imparable chez Carné, sur tel faux plan-séquence chez Renoir, sur l'utilisation du même escalier dans les films de Melville ; il nous sort de solides anecdotes sur le flou politique de Renoir, sur Eddie Constantine qui en avait marre des bagarres, sur les acteurs qui se sont engueulés avec Melville, sur les musiques introuvables de Maurice Jaubert, sur le record de spectateurs (0 à la première séance) de L'Oeil du Malin de Chabrol ; il raconte son amitié avec Sautet, réhabilite Gréville, vénère Becker, revoit Carné à la baisse, ignore Truffaut, affirme son attachement pour tel ou tel mini-détail dans tel film raté... Tout ça est bel et bon, et il est bien agréable de retraverser ainsi quelques années (en gros, des années 40 à la fin des années 60) de notre bon vieux cinoche. Mais à force de s'attarder indûment sur quelques personnages (Gabin, Constantine, Sautet...), il n'a plus le temps de parler des autres, et gâche pas mal de pellicule à nous raconter des histoires pas toujours géniales, en occultant tout un pan d'histoire. On ne dénombrera pas le nombre d'oubliés, du cinéma muet au cinéma contemporain, après tout le film est subjectif, et il a le droit de préférer Léon Morin prêtre à Léos Carax. Mais on déplorera ce montage erratique, qui se perd dans des longueurs infinies alors qu'il y avait matière à rendre une copie pleine comme un oeuf. Finalement on a l'impression que Tavernier a plus parlé de ses potes que du cinéma français : aucune perspective historique (sauf pour balancer sur Renoir), aucun regard vers le cinéma "parallèle", peu de notations sur le style concret des cinéastes (la cinéphilie de Tavernier est plutôt instinctive, émotionnelle, rejoignant ainsi celle de Scorsese qui fit jadis le même exercice sur son cinéma national à lui) ; mais une tendresse affirmée pour ses grands amis. C'est souvent ça la vieillesse : s'enfermer dans un hommage un peu gavant aux gens dont on a croisé le chemin, et oublier tous les autres, voir Delon et ses "il est parti rejoindre Romy et Lino" à chaque décès d'acteur. La vraie histoire du cinéma français reste à faire, et je propose que Godard s'y colle : au moins, lui n'a pas d'ami.