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15 janvier 2018

LIVRE : Capitaines Courageux (Captains Courageous : a Story of the Grand Banks) de Rudyard Kipling - 1897

A36354Vous me voyez à présent au jus de la technique de pèche à la morue au large des Grands Banks, encore une corde à ajouter à mon arc. Kipling a semble-t-il découvert ce petit monde coloré par hasard, et nous en livre sa vision dans ce roman amusant et un peu oubliable, qui donne sa dose de dépaysement tout en vous laissant enfoncé dans votre fauteuil favori. Harvey est un fils de millionnaire qui tombe malheureusement du cargo luxueux sur lequel il était embarqué ; il est alors recueilli par une bande de joyeux pêcheurs,et durant les mois qui suivent, va travailler avec eux pour gagner son pain, redécouvrant les vertus du labeur et de la solidarité avant de retrouver son berceau doré. D'abord égoïste et capricieux, il va se frotter, au contact du brave capitaine Troop et de ses solides compagnons, au métier sans concession de la mer, et devenir très vite un vrai petit marin. Kipling ne joue pas les Melville ou les Stevenson : pas de cannibales, de pays exotiques ou de gros coups de tempête dans Capitaines Courageux : simplement le quotidien de ces hommes, assez réalistement décrit, dans ses moments terribles (la mort des hommes, la misère, les veuves restées au port) et dans ses moments joyeux (les chansons, les récits, les bonnes blagues, les personnages hauts en couleurs). Intéressant d'apprendre par la bande, tout en restant dans le récit, quelques techniques, quelques termes qui nous font pénétrer ce monde à part, beaucoup moins glamour que celui des marins au long cours, mais qui comporte suffisamment de détails croustillants pour mériter l'intérêt. Par exemple, la concurrence entre bateaux, les moqueries entre nationalités, ou la sorte de solidarité fragile mais émouvante entre pêcheurs du même bord. Harvey trouve en Troop un père de remplacement, une autre façon de voir la vie, et on reconnaît bien là notre Kipling avide de toute expérience : pour devenir un être complet, il faut que Harvey en passe par cette période "d'orphelinage", apprenne la vie par l'expérience et la dureté. Ce n'est qu'à ce prix-là qu'il deviendra un homme (mon fils).

D'autant que si le roman manque un peu de surprises dans cette partie maritime, il devient relativement profond dans son dernier tiers. Quand le bateau rentre au port, Harvey retrouve sa famille. On pouvait s'attendre à une critique en règle du monde des nantis opposé à celui, simple, des marins ; que couic. Le père (justifiant le pluriel du titre) s'avère être exemplaire, distribuant ses largesses pour améliorer la vie de l'équipage, mais surtout portant sur son fils un regard neuf et juste. C'est peut-être le personnage le plus attachant du livre, sa richesse ne l'a pas abîmé, et il donne à Harvey les conseils d'un sage. Dans un dernier chapitre court, on voit se réaliser le fantasme politique ultime : concilier riches et pauvres pour créer un monde harmonieux. Bien belle idée utopique mais forte, malheureusement démontrée pour cette fois par un style un peu heurté, qui manque nettement de fluidité : c'est la marque de Kipling de chercher une façon de décrire les choses qui soit plus en phase avec la vie, privée des forfanteries littéraires habituelles ; mais cette fois, il nous perd un peu dans les méandres d'une écriture déséquilibrée, qui met à égalité les moments forts et les moments  plus faibles, et manque ainsi de vrais pics d'émotion. Le livre ne rentre donc pas dans la catégore des grands romans maritimes, mais il a au moins le mérite de présenter des personnages forts et de tenter le coup du livre marxiste avant l'heure.

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