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18 décembre 2017

Ballet de Frederick Wiseman - 1995

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Plongée en apnée et en ballerines dans le petit monde fermé de l'American Ballet Theatre. Wiseman, fidèle à son style simple et sans excès, livre un portrait de l'intérieur de la vénérable institution : sans aucun commentaire, sans inscription indiquant qui parle ou qui danse, sans musique ajoutée, sans même véritablement de style, il capte tout, depuis les répétitions ardues jusqu'aux entretiens d'embauche, des soucis d'organisation des tournées aux moments de pause, de la tournée européenne aux interventions des chorégraphes, sans du tout déranger la mécanique bien réglée du ballet par sa présence, en se faisant aussi discret que possible. On a là l'exemple même de la fameuse phrase de Welles : "ce que vous voyez, c'est ce que vous obtenez", et c'est vrai que le film frappe par son "objectvité". La longueur du film (presque 3 heures) lui permet de mettre énormément de matériel là-dedans, y compris les moments répétitifs, ennuyeux, qui font partie du travail de répétition, de recherche. La recherche inlassable du bon geste, de la bonne hauteur de levé de genou, du bon maquillage, du bon costume, chaque micro-événement de la création des spectacles est scruté avec un égal intérêt, dans la longueur. L'impression de plonger tête baissée dans un lieu d'ordinaire secret, d'attraper parfois étonnament intimement des moments de vie,de comprendre le quotidien de ce métier de dingue qu'est la danse.

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Car, malgré l'absence de commentaire et même de "pensée" de la part de Wiseman, il se dégage de ce film l'impression d'une machine parfaitement huilée, destinée certes à créer de la beauté et du plaisir, mais aussi broyeuse de personnalités et de caractère. Tous ces danseurs anonymes qui se succèdent, sans qu'on n'arrive vraiment à distinguer l'un de l'autre (unifomité des physiques : les filles fines et élancées, les garçons musclés et sexy), finissent par évoquer une entreprise à niveler les caractères, ce qu'augmente le travail hyper ardu qui leur est demandé (les petits tours à l'infirmerie sont discrètement amenés). Après les deux heures de répétitions, on a du mal à retrouver dans les spectacles eux-mêmes, filmés à Athènes ou à Copenhauqe en live, les gestes préparés, comme si les heures passées sur ceux-ci étaient noyées dans la masse ; de même pour ces danseurs, tous faisant partie d'un groupe, tous rendus pareils par le maquillage ou le costume, qui ont l'air de devenir encore plus anonymes au cours des pectacles. Il faut dire que la danse qui nous est montrée, à force de traditions indépassables, est trop codée, ringarde, et que les petites poussées de caractère des chorégraphes sont broyées par la nécessité du classicisme de leurs chorégraphies. Le film devient alors un peu effrayant, montrant un monde fermé au monde extérieur, tournant à vide dans sa propre mécanique de tradition : même dans leurs moments de pause, les danseurs vont en boîte... pour danser, et toutes leurs journées semblent consacrées à leur art. Rares sont les moments dans le film où on sent vraiment le bonheur, parfois dans une complicité entre une danseuse et son maître, parfois dans un regard échangés entre deux interprètes, parfois dans la joie d'un chorégraphe de réussir un tableau d'ensemble (la plus belle scène : un type qui règle une scène de groupe sur une danse jazz, et qui touche enfin ce qu'il voulait obtenir) ; l'ensemble paraît être une vaste entreprise commerciale et spartiate qui broie les corps. J'ignore si c'était le but de Wiseman de donner cette vision-là, et je pense même que non, qu'il voulait juste rendre honnêtement compte de la beauté d'un travail artistique ; mais c'est là, et ça transforme son film en un moment assez douloureux. En tout cas, un film d'une rigueur impeccable, un grand moment d'honnêteté cinématographique.

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