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Shangols
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GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
7 mars 2020

Taxi Driver (1976) de Martin Scorsese

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Qu'il était bon ce temps où l'on aimait De Niro et Scorsese ! C'est avec un plaisir évident que je me suis refait cette palme 1976 : De Niro, la trentaine pimpante (il a 26 ans dans le film et on y croit), déambule dans les rues de New York sur une musique bluesy du grand Bernard Herrman. Il tombe raide dingue de Cybil Sheperd, jeune femme bon chic bon genre qui bosse dans la permanence d'un candidat politique et a la bonne idée, pour un premier rencart, de l'emmener dans un cinoche porno... Ah ? Ah oui, Bob est un peu brut de pomme, et ne perçoit pas tellement le fossé social et culturel qu'il y a entre lui et Cybil. Totalement rembarré, le Bob se renferme dans sa paranoïa et sa bêtise, s'arme jusqu'aux dents (jamais la preuve qu'on a un cerveau) et décide de partir en expédition "punitive" pour "sauver" Jodie Foster, prostituée mineure.

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Toute la question du magnifique scénario troussé par Paul Schrader est de savoir si notre homme est un gros con ou un saint... Même si notre homme s'achète une auréole en venant en aide à cette pauvre gamine en perdition (en massacrant proprement trois personnes au passage), force est de constater qu'il n'a pas inventé l'eau calcaire... Il se désole de cette "vermine" qui a envahi la ville (discours déjà un peu rance en soi) et décide donc, en inspecteur Harry des taxis jaunes, de "passer à l'acte" - un carnage final qui met le coeur au bord des lèvres, comme dirait mon camarade... Bon... La grande finesse de la chose, c'est qu'à aucun moment le cinéaste ne semble porter un quelconque jugement sur cet homme dangereux qui s'enferre dans sa propre logique destructrice : à chacun de se faire sa petite analyse sur cette plongée cauchemardesque dans les entrailles véreuses de la Grosse Pomme... On croise d'ailleurs peu de personnes sympathiques au cours de cette traversée : entre la froide Cybil (un peu cul serré) ou l'ignoble passager de taxi incarné par... Scorsese (un type qui veut se venger des infidélités de sa femme en lui défonçant le vagin à coup de Magnum - arf), ce petit monde (on pourrait aussi évoquer ce politique en carton-pâte au discours populiste) ne respire pas franchement l'ouverture d'esprit ou la joie de vivre... Un des seuls personnages un brin souriant et heureux de vivre est le mac (Harvey Keitel en mode seventies cool : inoubliable) qui exploite la minote Jodie : pas très reluisant non plus... Une galerie de personnages mal aimables mais qui prennent extraordinairement vie sous la camera scrutatrice de l'ami Martin (et oui, c'était mon pote, il y a bien longtemps...).

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On a adoré en particulier ces petits instants de tension entre De Niro et Keitel (l'un dubitatif, l'autre blagueur : on ne sait jamais si De Niro va finir par lâcher son sourire craquant ou s'il va lui sauter à la gueule tel un pitbull) et, en général, ce jeu absolument fabuleux de De Niro qui tient le film sur ses épaules : un homme au faciès assez indéchiffrable, capable de s'illuminer (ce putain de sourire deniroesque) ou de faire refléter l'enfer dans ses pupilles. Cette ville, ces habitants, cette atmosphère impriment magiquement la pellicule du cinéaste qui livre un film à la fois d'une grande fluidité et particulièrement rugueux ; portrait d'un homme banal qui tombe soudainement dans les abysses de la violence, portrait terriblement moderne d'une société urbaine asphyxiante et destructrice. Grande et audacieuse palme.   (Shang - 02/12/17)

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Tout est dit dans l'énamourée critique de Shang, sur laquelle bien sûr je surenchéris sans ambages. J'ajouterais juste qu'outre toutes les qualités citées par mon camarade, on peut s'extasier aussi devant la façon qu'a Scorsese de regarder la ville. Vue à travers les vitres du taxi de Travis, elle apparaît vénéneuse, dangereuse, pleine de péchés, si bien qu'on a vraiment l'impression de deux mondes qui s'affrontent : celui de Travis, solitaire, indigné, persuadé de son bien-fondé, et celui de l'extérieur, mystérieux, infernal, du côté du Mal. Elle est sans cesse déformée par les vitres dépolies, recadrée à l'intérieur du cadre de l'écran de ciné par les bords des fenêtres de la voiture, floutée par la pluie, donnant une image faussée de la réalité à notre héros. Le taxi de Travis devient donc le symbole de son cerveau, ou en tout cas de la petitesse de sa conception manichéenne du monde. Parfois, quand l'extérieur pénètre à l'intérieur, ce n'est que pour confirmer que, dehors, tout n'est que gabegie. Le bouillon parfait pour que se développe une bonne vieille pulsion de rédemption, de justicier, chez ce personnage parfaitement ambigu et binaire à la fois, moraliste et complètement perdu. Alors : héros ou saint ? Le film brouille les pistes avec un talent qu'il faut bien appeler génie, nous faisant partager parfois le dégoût de Travis (et le jeu parfait de De Niro aide à l'identification : il est drôle, beau, courageux) parfois la terreur qu'il inspire (la tuerie de la fin, son obsession de nettoyage de la ville). En tout cas, s'il passe à l'acte, c'est au départ plus pour sa gueule que pour sauver le monde : il veut tuer le candidat à l'élection pour se venger d'une déconvenue sentimentale, est prêt à adhérer à n'importe quelle politique du moment qu'il peut se rapprocher de la nana qui les prône, aime particulièrement fréquenter les lieux minables pour se conforter dans sa haine de la société et de la ville, et finit par tuer tout le monde pour sauver une pute qui ne lui a rien demandé. Si les autres, in extremis, l'accueillent comme un héros, c'est presque malgré lui, sans qu'il se rende compte qu'il est devenu par la force des choses le symbole de l'Ordre Retrouvé. En tout cas les tourments de Scorsese de cette époque (qui sont peu ou prou toujours les mêmes aujourd'hui) n'ont jamais trouvé de plus bel écrin pour s'exprimer : la soif de foi, l'ordre moral, le péché originel, la violence intrinsèque et la recherche de pureté, tout ça explose aux yeux par la fulgurance de la mise en scène, au cerveau par la précision du scénario parfait, et aux oreilles par cette musique inoubliable de Herrmann. Un pur chef-d'oeuvre, à revoir éternellement.   (Gols - 07/03/20)

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