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24 novembre 2017

LIVRE : Le Livre que je ne voulais pas écrire d'Erwan Larher - 2017

9782374910635,0-4313382Les terroristes du Bataclan ont au moins produit ceci de constructif qu'ils ont permis à l'auto-fiction française de passer dans le camp des adultes et des vrais soucis. Pour lutter contre la vague de romans, de supputations et d'essais plus ou moins pertinents sur le sujet, Larher écrit donc ce livre, plus ou moins contre son gré, plus ou moins suivant les injonctions de ses proches, pour enfin dire ce que ça fait, d'être dans une salle de concert et de se retrouver tout à coup à deux doigts de la mort. Car le bougre y était, et à défaut de pouvoir tout raconter (il est resté des heures couché, faisant le mort, tentant de se faire oublier), il peut raconter l'angoisse, les odeurs, la peur, la douleur de se recevoir une balle (dans le cul), et la lente résilience qui en résulte. En tant que "seul écrivain qui y était", il est harcelé par tous pour témoigner. Le résultat déjoue toutes les attentes : drôle, sans complexe, en empathie non seulement avec ses compagnons d'infortune mais également avec les terroristes, il réussit brillamment son exercice de style.

Il y a quelque chose de très touchant dans ce récit. Peut-être parce que Larher nous ressemble, est un mec comme toi et moi, moderne, aimant le rock, entouré de copains et de nanas, pleins de défauts et de qualités. Sa rencontre avec l'horreur devient alors un événement absurde, aberrant même, qu'il décrit avec une précision totale. Il faut savoir méchamment écrire pour arriver à rendre perceptibles ces détails de "ce qui s'est passé" ce soir-là : les bruits, les odeurs, les mains qui se serrent, la terreur. Le chapitre consacré au drame lui-même est un modèle de style, et on ressent viscéralement l'angoisse d'entendre les coups de feu se rapprocher, et la douleur atroce de la balle. Mais le livre touche aussi par la pudeur qu'il affiche, par sa façon de parler uniquement en son nom, refusant d'interpréter ou de commenter la douleur des autres. Larher, lui, n'a que peu de séquelles psychologiques de cette soirée, il le dit sans complexe : pas de culpabilité mal placée, pas de scrupule à ne pas avoir été le héros qu'il pensait être, pas de cauchemars récurrents. Son mal est physique, et les séances d'hôpital où il exhibe son cul à tous les médecins du monde, ou sa description de la lente remise sur pieds, a cette politesse de l'humour qui font les grands pudiques. Le texte alterne avec habileté le "je" et le "tu", comme s'il s'agissait de temps en temps de prendre ses distances, de s'éloigner du sujet, pour mieux ensuite y replonger tête baissée. Surtout, il a l'excellente idée d'entourer la tragédie par des témoignages de ses proches, qui interviennent de temps en temps pour raconter leurs réactions le soir en question : ces chapitres font comme une coque de protection autour de Larher, font que sa voix à lui s'additionne à celles des autres, avec une délicatesse touchante. Le livre avance donc avec de très jolies pincettes, mais n'est jamais frileux pour autant : il fallait oser donner la parole aux terroristes eux-mêmes, qui deviennent étonnamment humains le temps d'un chapitre où Lahrer, assez amer, constate qu'ils sont bien semblables eux et lui, et que seules des différences de destin les ont placés d'un côté ou de l'autre de la kalash. Le gars, on le voit, dit clairement les choses, sans s'embarrasser de considérations morales de bazar, et réussit même à instaurer de l'humour dans son récit : on se marre plus souvent qu'à son tour au récit de ces docteurs penchés sur le cul du narrateur, ou de l'importance de la perte de ses santiags de collection dans l'affaire. Comme si, pour lutter contre les terrorismes, le gars n'avait trouvé que trois choses fondamentales : l'humour, le style et les potes. Un très beau témoignage, vrai et intelligent.

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