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7 avril 2017

LIVRE : Vierge d'Amélie Lucas-Gary - 2017

9782021359091,0-4081908Aïe le fameux coup du deuxième roman, le plus dur à réussir, celui qui peut confirmer un talent ou vous renvoyer aux calendes... On ne souhaite nullement ça à Amélie Lucas-Gary, écrivain attachante et originale, mais il faut bien le reconnaître, Vierge est beaucoup moins réussi que Grotte. Là on elle avait trouvé un ton très personnel, un sujet inédit, un style insaisissable, elle écrit ici un texte laborieux, appliqué et assez ennuyeux. Je sais que ce texte (écrit par un gusse qui n'a pas le début du talent de la demoiselle, entendons-nous bien) sera lu par l'intéressée, essayons donc de trouver les mots justes pour exprimer mon désarroi.

Les intentions du roman sont plus que louables, et très ambitieuses. Il s'agit, à travers l'épopée d'une jeune femme enceinte alors qu'elle est vierge, d'inventer une nouvelle mythologie moderne, qui mélangerait une imagerie empruntée aux peintres flamands des origines et à la société contemporaine. On croise donc ici des personnages homeriens aussi bien que des grosses bagnoles. L'impression qui s'en dégage est un mélange entre Les Saisons de Maurice Pons, pour le côté monstrueux, scabreux, scato même parfois, et une sorte de cinquième Evangile, pour le mysticisme et l'écriture très solennelle de l'ensemble. Le mélange, contre toute attente, prend bien : Emmanuelle sillonne une France revenue à la sauvagerie d'antan, se livrant à des rites païens étranges ou des mises à mort brutales, où le pouvoir des élites est mise à mal et remplacée par de l'humain, dans ce qu'il a de plus direct, de plus charnel. Il est beaucoup question de chair dans le roman, aussi bien par les occurrences sexuelles (LA chose qui a fait défaut au personnage, donc) que par les récurrences de l'appartenance au monde que le roman égrène à travers l'allégorie. Emmanuelle est fortement ancrée dans le monde, même si elle s'y soustrait malgré tout, et cet ancrage est symbolisé par mille détails incarnés : son ventre qui grossit, ses nombreuses masturbations, les scènes où la merde devient une sorte de rituel étrange, le corps des autres aussi, de tous les personnages qu'elle croise sur sa route. Le roman est aussi géographique, la jeune femme traverse les territoires (les noms sont changés, là aussi pour créer une sorte de géographie "à la fantasy", reconnaissable et en même temps étrangère), Clermont-Ferrand, Lourdes, Aigues-Mortes... Le récit se fait, détail important, depuis un bateau placé au milieu de nulle part, dans un monologue prononcé par la fille d'Emmanuelle (sorte de Christ démystifié) et adressé à des passagers inconnus...

Tout ça tresse un livre intrigant, parfois passionnant (les rites scato du début), mais s'échoue aussi contre sa propre originalité. On a du mal à saisir exactement le texte par quelque fil que ce soit, et l'écriture de Lucas-Gary brouille encore plus les pistes par des ellipses trop prononcées, par des élans poétiques parfois un peu longs et appuyés. On a du mal à s'accrocher à ces lignes trop abandonnées à l'errance, trop abstraites, trop écrites même si on peut dire : l'auteure veut faire la poète, et se heurte à son propre texte. Celui-ci aurait mérité d'être beaucoup plus charnel, sexuel, concret, et il se perd souvent dans des longues échappées un peu fleur bleue sur la nature, sur le paysage ou le climat. De plus tous les épisodes ne se valent pas, et on dirait que le roman promet beaucoup et donne peu, trop cérébral, trop conceptuel, trop éloigné de l'Humain. Du coup, l'idée singulière de la "mère vierge" disparaît sous ces pages hyper-réfléchies, et on se désintéresse peu à peu du personnage pour suivre difficilement une trame qui échappe, un style trop scolaire. On attendra donc le troisième roman pour retrouver la demoiselle, pour celui-ci je l'ai un peu perdue. Et j'en suis le premier désolé.

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