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25 janvier 2017

LIVRE : La Vie aveugle de Loïc Merle - 2017

9782330072674,0-3725811

Etrange voie que celle choisie par Loïc Merle depuis son premier livre il y a trois-quatre ans. Jamais là où on l'attend, il est l'auteur de trois livres érudits, pas simples, mais qui font de la littérature un art noble, qui se penche sur lui-même pour se questionner sans cesse. Ce nouveau livre est une surprise : c'est une sorte d'essai, composé de deux textes, et qui cherchent à creuser les rapports de la peinture au monde extérieur. Le premier nous entraîne dans l'Histoire, en nous montrant une exposition d'art "dégénéré", montée curieusement par les nazis pour condamner les tableaux montrés, comme si l'exposition pouvait pousser les spectateurs à rejeter des œuvres qu'on voulait voir disparaître. Merle s'attarde sur un tableau dans cette expo, un autoportrait de Van Gogh, et par un choix de mots subtils, par une lente approche aussi bien historique qu'artistique, aussi bien objective que personnelle, montre en quoi ce tableau "de sauvage" a perduré, combien sa présence au sein du chaos du IIIème Reich est la preuve d'une pérennité de l'art. C'est un rapport très intime au tableau que l'auteur travaille, et le sort de celui-ci au sein de la grande histoire de l'horreur nazie apparait comme une aberration à la fois proche et loin de lui. Un texte étrange, essai et exercice de style à la fois.

A mi-chemin, le livre bifurque vers le roman, avec toujours pour thème la peinture, le monde extérieur, et notamment l'Histoire et le nazisme. Invité par un peintre à passer quelques jours chez lui à Heidelberg, le narrateur se voit happé par un monologue amer, où l'artiste exprime toute son impuissance à créer ; soucis familiaux, panne d'inspiration, mais surtout emprise d'une ville bourgeoise et sans couleurs dont il ne peut pourtant s'échapper. Merle pointe avec finesse l'énorme difficulté de créer, la dichotomie entre art et commerce, l'aspect éphémère de l'inspiration, le mélange de modestie et d'orgueil qu'il faut pour produire une œuvre, et au final la vanité de tout cela : il faut être un "peintre du dimanche", s'effacer devant les grandes œuvres. Dans un flot de mots à la Thomas Bernhard (décidément une des grandes inspirations de la littérature contemporaine), il montre les méandres d'une pensée, d'une parole, et là encore fait s'affronter les tableaux avec le nazisme, avec l'horreur du monde. C'est dans ce dialogue entre monde intérieur et monde extérieur que se jouent ces deux textes disposés en miroir, et ce livre, au final, est aussi un douloureux autoportrait en homme qui se rêve artiste et est confronté à la difficulté de l'être. En tout cas, un texte intrigant, inattendu, et intime, impeccablement écrit, savant et sensible.

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