9782358871211,0-2997965Franck Bouysse a l'honneur de vous présenter le polar poétique, et en même temps que son annonce, il vous transmet son aveu d'échec. Il y a une ambition feutrée dans ce roman noir qui s'intéresse mille fois plus aux atmosphères, aux paysages, en un mot à l'écriture, qu'aux vagues rebondissements d'une intrigue attendue et pas passionnante. L'ambition de mêler assez subtilement la grande littérature, celle de Giono, de Faulkner, et le genre du polar, avec ce que ça comporte de tension et de fun. Mais le gars, malheureusement, a beaucoup de mal avec l'écriture, malgré ses efforts. Le livre est à 80% constitué de longs paragraphes descriptifs, où Bouysse veut faire montre de sa maîtrise de la grammaire française, notamment en matière d'adjectifs sentis et de vocabulaire pointu. Mais ses efforts sentent le bon élève, le Larousse à portée de main. A trop vouloir jeter de la poudre aux yeux, on finit par devenir inepte. Pour quelques rares pages bien senties, bien équilibrées, il faut lire des passages entiers où le gars tire à la ligne, dans un style ampoulé, trop érudit pour être sincère. C'est louable, n'est-ce pas, de tenter le coup du style dans un roman de gare, et parfois ça lui réussit : dans les dialogues notamment, ceux-là assez maîtrisés dans leurs rythmes, courts, secs, ramassés, répétitifs mais nets. Mais pour tout le reste, planter des ambiances, poser des mots sur les choses, mettre en adéquation le paysage et l'intérieur des personnages, Bouysse échoue, trop préoccupé par sa volonté de nous ébahir coûte que coûte.

C'est dommage, car il y a de bons moments dans le roman. Dans cette volonté d'amener le polar dans le fin fond de la campagne, par exemple, qu'il avait déjà tenté dans Grossir le Ciel. Dans cette campagne rude, pauvre, secrète, les personnages, de sombres paysans taiseux et solitaires, se croisent, échangeant de vagues mots sans importance qui cachent des secrets tus et un passé chargé, jusqu'à ce que la violence éclate. C'est une jeune femme battue qui va apporter ici la zizanie chez nos ruraux, et les tensions, violence passée, pulsions sexuelles, désir éperdu d'amour, jalousies, vont subitement éclater dans ce paysage désolé. C'est un nouveau territoire du polar que Bouysse explore, et on apprécie de voir le noir exploser dans ces paysages souvent délaissés par la littérature. Bouysse a du mal à faire exploser réelement les choses, faisant monter très lentement la sauce et ne la faisant éclater que dans les 10 dernières pages, de façon d'ailleurs un peu décevante et attendue. Si on résume, écriture laborieuse, trame pas tenue, on ne voit pas d'où vient l'intérêt. Et pourtant on lit ce truc jusqu'au bout, parce qu'il est animé d'une vraie volonté de faire vivre des personnages authentiques, et parce que les dialogues sonnent juste. Au final, déception, mais, c'est Noël, on pardonne à Bouysse d'avoir raté son roman.