Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
23 décembre 2016

Le Prédicateur (The Apostle) de Robert Duvall - 1997

the-apostle-movie-clip-screenshot-shouting-for-jesus_large

The Apostle est un solide film classique, que n'aurait certainement pas renié Eastwood. Sauf que le bon Clint aurait su doser ses effets, et mettre un peu de nuance et d'ambiguité dans ce scénario fiévreux, maladroit et en colère. Duvall, s'il excelle en tant qu'acteur, s'il se montre honnête dans sa mise en scène, s'avère un piètre scénariste, et on ne peut que regretter que le script n'ait pas été poli par plusieurs mains. Ceci dit, il y a dans The Apostle une sincérité touchante, et Duvall s'y montre plutôt habile pour parler d'un fait peu filmé : le charisme de ces "fous-de-Dieu" dans l'Amérique rurale profonde. Il choisit pour ce faire un personnage intrigant, qu'il incarne avec la conviction qu'on lui connaît. Sonny est un prédicateur convaincu, un de ceux qui font de leur prêche un spectacle mélant chants liturgiques, cris, répétitions, transes, et faux coups de grâce. Mais sa vie privée part en miettes : son ex-femme a trouvé un amant. Après avoir joyeusement pêté la gueule à celui-ci (bim, coma), le gars est obligé de s'enfuir. Il s'enfonce dans une Amérique de plus en plus profonde (et de plus en plus noire), et fonde dans une minuscule communauté une Eglise, comme on fonde une épicerie.

13479_152eb914f88792a229dcba21342eab21

C'est à partir de ce moment-là, soit une heure après le début, que le film devient vraiment intéressant. J'aurais été Duvall, j'aurais enlevé toute la première partie, et j'aurais balancé quelques subtils flashs-back pour évoquer le passé de Sonny. Mais Duvall, sûrement trop désireux de montrer l'étendue de son jeu, y compris dans la violence, a tout laissé, c'est dommage. Bref, le personnage devient une véritable énigme, et l'acteur sait lui donner toute son épaisseur : brute épaisse (il pète à nouveau la gueule à un perturbateur) ? Imposteur (ses prêches sont souvent ridiculement spectaculaires) ? Ou saint (la meilleure scène : une conversion in situ d'un mécréant venu en découdre) ? Enfin un peu d'ambiguité dans ce film, qui se conclura d'ailleurs sans apporter de vraies réponses. On peut voir dans le final une variation sur les derniers jours du Christ (oui, le film va jusqu'à cette ambition-là) ; mais on y voit surtout une réflexion sur l'acteur : quand on est convaincu d'une chose, cette chose devient concrète. Sonny est sûrement un imposteur, sûrement un malin, mais il croit, et comme dit Brassens : "Faites semblant de croire et bientôt vous croirez". Aidé par quelques rombières ou quelques simples d'esprit qui scandent avec lui ses prières à la con, Sonny parvient à déplacer des montagnes et à créer une vraie communauté soudée, voire à faire des miracles.

predicateur

Le film est aussi très intéressant dans ce portrait de la campagne profonde, celle où foi et superstition sont souvent très proches. Duvall aime de toute évidence les paradoxes du Sud des USA, et les filme avec gourmandise, chargeant sa musique de blues parfaitement authentiques et inventant des personnages (des seconds rôles souvent un peu trop rapides, cela dit) hauts en couleur. On aime ces longues scènes au montage raffiné, qui laisse toute sa place à l'acteur, qui joue à l'ancienne, avec une patiente construction millimétrée. Il est bien dommage que le gars se perde dans cette première partie inutile, et qu'il ait tant de mal à se sortir du "tout narratif" qu'il met ainsi en place. Il remet en selle Farrah Fawcett, certes, mais le personnage de celle-ci est tellement schématique qu'on s'en serait bien passé. Bref, le gars tire la couverture à lui, et on lui en veut un peu. Une heure ratée, 1h20 réussie, on s'en tire quand même bien au final.

Commentaires
S
Tout ça c'est bien joli mais en fait, je ne pige pas du tout le rapprochement Duvall - Eastwood... celui-ci tend à faire des films très figés, calculés (plutôt que « dosés ») et un peu préfabriqués avec cette patte qu'on qualifie sans cesse de « classique » (terme que je trouve très galvaudé quand on parle de cinéma et qui sied beaucoup mieux à la musique ou la peinture) alors que moi ça m'évoque plutôt une sorte d'académisme poussiéreux. Tout le contraire de Duvall qui, peut-être en partie parce qu'il a moins de « métier »* que son confrère derrière la caméra, fait un cinéma extrêmement spontané, audacieux, hasardeux j'ai même envie de dire — ce que d'aucuns pourront considérer comme de la maladresse encore que j'y verrais une certaine mauvaise foi de leur part. En tout cas je n'ai jamais ressenti une telle vitalité et éprouvé une telle plénitude chez Eastwood, même dans une oeuvre assez touchante comme Breezy ou le plus récent Jersey Boys dont la mise en scène semble un peu moins anesthésiée que d'habitude. S'il y avait une sensibilité à laquelle je pourrais éventuellement rattacher Le prédicateur ce serait celle de Renoir pour cette formidable liberté dramatique, cette façon naturelle de conter les événements aux antipodes des balises hollywoodiennes dont le vieux Blondin n'est d'ailleurs jamais parvenu à s'affranchir.<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> *C'est là où je repense à la réponse de Chaplin à Virginia Cherrill lorsque celle-ci lui avoue son inexpérience en tant qu'actrice: « heureusement que vous n'avez pas de métier sinon j'aurais dû vous le faire oublier ».
Répondre
G
Vous en parlez très bien, Hamster, de ce film.Oui, la scène du baptême est absolument parfaite, tout comme celle du miracle de la conversion de Billy Bob Thornton. Les acteurs sont parfaits, je le reconnais. C'est juste que la première partie m'a semblé en trop, trop explicative, trop psychologisante, justement. Et pour faire le parallèle avec "Impitoyable", je trouve que Eastwood a évité le tout explicatif pour justifier les actes de son personnage.<br /> <br /> Je sais que Eastwood est idéologiquement douteux. Mais il y a dans ses films une modestie qui me manque ici. Dans le genre 'classique" (adjectif que j'ai accolé au cinéma d'Eastwood, oui, comme tout le monde), il me semble qu'il est meilleur, et qu'il est arrivé, de temps en temps (je ne dis pas toujours !) à transcender des scénarios pas terribles, à leur donner une patte très humaine, très personnelle, sans l'annoncer, sans faire le malin : Impitoyable, Space Cowboys, Breezy, L'Homme des hautes plaines, Un monde parfait, Sully, American Sniper, Minuit dans le jardin du bien et du mal, sont des films au scénario attendu mais qu'il parvient à rendre personnels, avec toujours cette clé cachée à l'intérieur et qui font voir un grand cinéaste. Duvall aussi y arrive de temps en temps dans Le Prédicateur. Des cinéastes très proches, selon moi. Mais je préfère Clint.
Répondre
P
Laisse-les, Hams'. Ils se grillent d'entrée en voulant « la nuance » et « l'ambiguité » du père Eastwoude, tsé, le mec qui caviarde ses films de lignes éthérées, type: « Allez donc vous faire sauter, ça vous ferait beaucoup de bien ! » (sic). <br /> <br /> Je m'en tape encore les cuisses. Ils peuvent cocher la case « blague de l'année », sur Shangols...
Répondre
H
Par manque de temps et d'énergie, et aussi parce que je ne l'ai pas revu depuis quinze ans, je me bornerai à dire pour l'instant que les qualités — terme tiède, disons plutôt les « grandeurs » — du 'Prédicateur' me semblent infiniment plus importantes que ses imperfections, pointées dans le texte ci-dessus. J'ai même le sentiment qu'elles finissent par être incorporées et subsumées dans le « grand dessein » du film, qui est tout sauf simpliste. Je n'en dirais pas autant de la dernière réalisation de Robert Duvall, 'Wild Horses' (qui a ses défenseurs parmi les commentateurs du présent blog), tout en étant bien conscient de l'aspect peu étayé et donc fort fragile de l'ensemble de cette intervention...
Répondre
Derniers commentaires