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Shangols
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10 mars 2023

Fuocoammare, par-delà Lampedusa (Fuocoammare) (2016) de Gianfranco Rosi

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Gianfranco Rosi a cette indéniable capacité de s'approcher de son sujet à tâtons, doucement, comme pour mieux parvenir à le cerner, comme pour mieux en faire ressortir la véracité. Il adopte ici dès le départ un procédé un peu déroutant : en posant sa caméra à Lampedusa, il filmera avant tout la vie d'un petit garçon natif de cette île, son évolution, ses jeux, ses questionnements, ses problèmes. Puis, ponctuellement, la caméra s'éloigne de l'île pour venir à la rencontre d'un navire de migrants ou pour interroger un médecin en charge de leur "accueil" - sûrement d'ailleurs le moment le plus fort du film, que cette simple interview où l'homme décrit cette répétition de l'horreur (ces cadavres de femmes enceintes, d'enfants...) et son travail qui consiste à prélever un doigt, une oreille sur ces corps... des situations traumatisantes qui ne cessent d'alimenter ses cauchemars...

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On suit donc pendant une grande partie du film cet ado dans ses jeux de guerre, mimant le bruit d'un fusil ou décanillant des cactus avec son pote à coups de fronde (le petit Européen qui a le luxe de jouer à la guerre quand son petit voisin méditerranéen doit subir de vraies bombes...), dans ses petits pépins physiques (l'un de ses yeux est "fainéant" et il doit bander son œil le plus actif pour le faire travailler - on cherche forcément immédiatement la métaphore : le monde des vivants resterait-il en grande partie aveugle devant l'horreur quotidien de ses migrants ? Un peu trop facile...), dans ses petits tracas d'ado (destiné à être pêcheur, il ne peut s'empêcher d'être malade en mer... Il s'entraîne donc sur une barque attachée à un ponton pour tenter de s'habituer au roulis... On ne peut s'empêcher là encore de faire un parallèle entre ce gosse qui a le temps d'apprivoiser la mer, de s'habituer à ses dangers et ces migrants jetés en mer au péril de leur vie). On cherche donc, malgré nous, à faire une petite analyse métaphorique pour tenter de faire un lien  entre ces deux réalités qui se côtoient sans jamais se rencontrer... Ce n'est pas forcément une bonne idée, toute la force du doc de Rosi résidant en fait dans la juxtaposition de l'exposition de cette petite vie banale, classique, basique d'un ado (qui, à l'image de ces musiques d'un autre âge qui passent à la radio, semble être la même depuis des siècles) et ces images frontales de migrants, le regard hagard, qui tous les jours ont tenté ce voyage jusqu'au bout de l'enfer. Ces séquences sur les bateaux de migrants (que Rosi filme soigneusement, à plat, sans effet) tirent toute leur force du décalage avec la petite vie immuable de cet ado : sur terre "la vie continue" pendant que la mer apporte tous les jours son lot de malades, de vivants exténués, de morts (les gens étant évacués de leur coquille de noix dans cet ordre). Rosi filme ses personnes avec une infinie pudeur, sans chercher l'image choc et nous prend tout de même méchamment de court lorsqu'on lui demande de filmer un bateau dont les cales sont remplies de corps inanimés... L'interview du docteur italien nous revient en tête et l'on se dit qu'il ne peut en effet être possible de parvenir à s'habituer à ces images, à rester indifférent devant elles. Et pourtant, toute comme cette vieille dame qui écoute tous les jours à la radio le nombre de morts retrouvés sur un bateau, on a fini par s'habituer à cette litanie de morts qui est devenue un refrain comme un autre. Un doc, au final, plein de tact et de finesse comme pour mieux faire ressortir tout le réalisme cruel de ces images devant lesquelles on a appris à détourner le regard (au propre comme au figuré). Bien vu et subtilement monté.  (Shang - 01/10/16)

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Tout à fait d'accord : voilà un film digne et très intelligent dans son traitement, tendant à prouver que sur notre planète, dans le même instant, se côtoient des réalités bien différentes : d'une part, la vie quotidienne et mignonne d'un gosse de Lampedusa, ses jeux, ses petits soucis, ses activités, son regard sur le monde, ses interrogations ; de l'autre, la dure, très dure réalité de ces migrants venant mourir là, à quelques mètres de lui. Les deux mondes ne se rencontrent pas à l'écran, mais on les sent, par la grâce d'un montage effectivement parfait, contemporains l'un de l'autre. Mine de rien, Fuocoammare fait le portrait d'un monde complexe, et il s'avère que c'est le nôtre. Au début, on est un peu dubitatifs devant le procédé, on cherche le lien entre ces scènes disparates ; mais peu à peu le film trouve son sens, regardant le monde avec un immense amour et en même temps, n'en occultant aucune horreur. Difficiles, ces images de gusses affamés, épuisés, apeurés, récupérés dans des bateaux surchargés jonchés de cadavres ; mais elles sont tout aussi réelles que celles, un peu élégiaques malgré la touche de violence qui s'en dégagent, de ce gamin rigolo, justement en train d'apprendre les règles pour vivre dans ce monde. Et elles sont traitées à égalité, comme pour dire que cette planète contient autant de beautés que de laideur. Peut-être peut-on voir aussi dans cette partie sur le gosse une sorte de roman d'apprentissage, le personnage allant vers de plus en plus de compréhension du monde (au début, il tue les oiseaux, à la fin il les caresse), de plus en plus de maturité (son œil qui guérit, son mal de mer qui s'estompe). En tout cas, on devine que la volonté de Rosi est de nous montrer que c'est cette génération qui va devoir prendre en charge les malheurs de cette planète, et qu'elle est prête à la faire. Il trouve indéniablement une manière très originale de faire du documentaire, en y instillant de la "fiction", en nous laissant réfléchir de nous-mêmes face à la réalité de ce monde, à ses paradoxes, à ses contradictions. Beau film profond et méditatif.   (Gols - 10/03/23)

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