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Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
19 décembre 2016

Kaili Blues (Lu bian ye can) (2016) de Bi Gan

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J'attendais impatiemment ce premier film de Bi Gan et je dois reconnaître que le résultat est aussi déroutant (certains, les plus polis, traduiront par un peu longuet, d'autres y verront une allusion à la finesse du scénario qui livre des informations de façon parcellaire) qu'envoûtant (la clé de voûte de l'ensemble étant un plan-séquence (pur jus) d'une quarantaine de minutes qui est indéniablement ce que j'ai vu de plus beau et de plus ambitieux, formellement, depuis longtemps). On suit donc les traces d'un homme, pour faire bref, qui après une longue période en prison tente de "recoller les morceaux" ; notre homme sera amené à voyager (le plan-séquence qui tue) pour aller à la rencontre de l'amant mourant de sa vieille collègue et à la recherche de son neveu, un gamin prénommé WeiWei qui se trouve chez un proche. On apprendra également entretemps différentes informations sur ses misères (la mort de sa femme) et ses démêlés avec la justice (une sombre histoire de règlement de compte au sein de triades). Rien de bien folichon, a priori, lanceront les plus caustiques mais le principal intérêt est bien sûr ailleurs : Bi Gan nous livre un récit sous forte influence poétique (les poèmes écrits et lus par le personnage principal ou encore les courts passages oniriques chargés de symboles – sans parler de cette projection impressionnante d’un train (que rien n’arrête, on penserait presque à Truffaut) sur un mur) qui mêle à merveille passé, présent et futur, ou plus précisément, qui parvient magiquement à gommer les frontières entre ces trois aspects temporels. Un tour de force, me direz-vous ? Je ne vous le fais pas dire.

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Kaili Blues peut apparaître à première vue comme une œuvre ultra réaliste (véritable plongée dans la Chine profonde d’aujourd’hui) mais où les "failles temporelles" permettent une très grande liberté poétique (un peu comme un riff bluesy de guitare qui résonne dans les tympans et qui déclencherait un souvenir proustien). On doit reconnaître que Bi Gan, dans un premier temps, se plaît un peu à brouiller les pistes (il se la joue à la Weerasethakul, l'enfoiré, en balançant le titre de son film quasiment au tiers de l’œuvre) et qu'on a un peu de mal à y voir clair dans le passé et le cerveau brumeux de son personnage principal peu disert. Les éléments sur sa vie passée sont donnés avec parcimonie (pourquoi pas) et l'on peine à savoir vraiment où ce petit con de jeune réalisateur veut nous emmener. Et puis arrive ce plan-séquence d'anthologie, qui, comme après nous avoir longtemps tenu la tête dans un sac, nous libère, et nous emmène dans un voyage spatio-temporel de folie (on fait à la fois des kilomètres et des kilomètres, en moto, à pieds, en bateau lors d'une furieuse randonnée qui nous emmène dans une autre dimension temporelle - il croisera ainsi un certain WeiWei devenu jeune homme...). Ce plan de quarante minutes est à la fois d'une fluidité à couper le souffle et permet à notre personnage de littéralement voyager dans le temps (passé, présent et avenir, disais-je, ne font qu'un, un peu comme le mystère de la sainte Trinité pour tenter de traduire cela de façon limpide... oui, je sais, c'est facile). Notre homme, toujours porté par la réminiscence de ses poèmes, va se promener dans un univers aussi riche musicalement que sentimentalement et ce "retour vers le futur", ce voyage dans les limbes de son cerveau, ce voyage dans le temps, dans les temps, va lui permettre, on l’espère, d'y voir un peu plus clair (au moins par rapport au destin de la personne qui lui tient le plus à cœur, son neveu).

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On est totalement bluffé, une fois encore, par le côté "naturel" de ce plan qui s'enchaîne comme dans un rêve éveillé. Le héros s'est engouffré, littéralement, dans un tunnel atemporel (Wong Kar Wai n'est pas si loin) et ce plan-séquence, véritable morceau de résistance de cette oeuvre de gourmet cinéphilique, donne au film une toute autre dimension. Bi Gan clôt son récit par une jolie idée qui lui permet de remonter à nouveau dans le temps (on aurait pu aussi évoquer les multiples références aux montres dans le film) et de trouver (se dit-on), dorénavant, une certaine sérénité. Une œuvre qui livre ses secrets tout en douceur mais qui, par ce plan-séquence, ouvre une sublime brèche dans l'histoire, voire, soyons fou, dans l'Histoire du cinéma - c'est pas rien... Un auteur à suivre, forcément, jusqu'au bout du bout du bout du plan.   (Shang - 25/08/16)

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Absolument fasciné, moi aussi, par cet objet. Il est peut-être encore trop sous le joug de ses glorieux aînés (Weerasethakul, comme le mentionne Shang, mais aussi et surtout, m'est avis, Hou Hsiao Hsien, dont il recopie soigneusement les travellings arrière le long des petites routes de campagne, le rythme lentissime et le sens de l'ellipse) ; mais il y a une indéniable force visuelle dans ce film, un équilibre des plans et de la durée qui indique immédiatement un grand cinéaste. Dès le premier plan, on est sciés : un panoramique latéral impressionnant, qui démarre dans des flashs de lumière, avant de terminer sereinement son périple face à un extérieur apaisé ; entre temps, on aura aperçu à peu près tout le caractère du héros, brave médecin et ancien yakuza, et ses rapports avec sa collègue. Après, c'est vrai que le film met du temps à démarrer. Succession de scènes banales, qui ne racontent pas grand-chose au niveau du fond, mais qui frappent par leur beauté, leur rythme, le sens du cadre. Quand on filme aussi bien, on s'en fout complètement de ce qui nous est raconté. Il faut d'ailleurs plus parler d'ambiances que de trame proprement dit : effectivement, dans cette longue intro, il y a déjà cette conviction qu'il n'existe pas de temps, que passé, présent et futur ne font qu'un, et cette volonté de tout mêler en un seul mouvement. Certains cadres a priori simples, une moto dans un tunnel, des joueurs de billard sur une terrasse, un tour en manège, frappent déjà par leur équilibre et en même temps leur légère inquiétude.

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Et puis bien sûr, il y a LE moment de bravoure, ce plan-séquence qui m'a complètement assis. Chez certains, ça pourrait être un truc à la con pour faire de l'esbroufe. Chez Bi Gan, ce "truc" de mise en scène rentre complètement dans le film, grâce justement à ces séquences courtes qui ont précédé, à cette longue préparation qu'il nous a imposée. En un mouvement de 45 minutes, le gars mèle tous les lieux, tous les temps, et concentre toute sa trame. Le voyage du héros pour retrouver son neveu et livrer les lettres d'adieu dont il a la charge trouvent leur accomplissement dans cette seule séquence, constituant le coeur du film. Techniquement, c'est impressionnant (ça dure sur des kilomètres), avec cette caméra fantomatique qui affirme subitement sa présence en empruntant des raccourcis ou en décrochant de l'acteur principal ; mais c'est aussi au niveau du fond que la chose convainc complètement. A travers cette épopée sans importance (et donc capitale), Bi Gan parle de la vie tout court, dans son acceptation la plus totale. Concentrer toute une existence, tous ses temps, toutes ses géographies, dans un seul plan, ça force le respect. Bi Gan, big up.   (Gols - 19/12/16)

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