Le Rapport (Gozarech) (1977) d'Abbas Kiarostami

On ne peut pas dire là qu'il s'agisse de l'œuvre la plus joyeuse de son auteur : il met en scène un gars qui travaille au Ministère des Finances et sur lequel toute une série d'emmerdes va tomber. Les a-t-il cherchées ? A priori, le gars est loin d'être innocent : trompant sa femme, lorgnant sur les joueurs au casino (il demande à un richard sa clope pour allumer la sienne, on peut y voir un symbole) et acceptant apparemment des dessous de table de certains citoyens fortunés - le problème c'est que l'un d'eux va se retourner contre lui quand, en plus du pot-de-vin, il doit payer une somme importante d'impôt. Notre homme qui a fait un peu trop le malin, risque-t-il de se vautrer dans le ravin ? C'est en tout cas bien parti pour : il reçoit d’abord un avis d’expulsion suite à des loyers en retard ; puis, suite à l'altercation qu'il a eue avec l'homme l'accusant d'avoir accepté des pots-de-vin, il se voit refuser l'accès à son bureau. Dans la foulée sa bagnole lui fait des misères (longue séquence que celle où il attend sa femme en voiture, doit circuler parce qu'il est mal stationné, doit pousser sa caisse pour qu'elle reparte : on sent l'exaspération monter en notre homme et la situation se tendre) et il se dispute avec sa femme. Lorsqu’ils arrivent à la casa, après ce petit tour en voiture pas vraiment de tout repos, la dispute se fait encore plus violente et notre homme qui voit tout lui échapper, partir en vrille, a la bonne idée (le con) de mettre deux-trois tartes à sa femme (c'est sûr que cela va assainir la situation)... Il la découvre quelques heures plus tard totalement amorphe : le coup incontournable de la boîte de pilules - direction l'hôpital, je vous passe les détails et ne vous parle même pas de leur gamine qu'il abandonne (l'inconscient) plusieurs fois dans la voiture sans qu'heureusement un autre malheur ne vienne s'ajouter aux précédents...

C'est au départ sans doute un peu trop bavard (les interminables discussions entre mecs au Ministère) mais le film prend peu à peu un bon rythme de croisière avec, en point culminant, le face à face entre l'homme et sa femme sous les yeux même de la gamine en larmes. On tente au départ d'avoir un peu d'empathie pour notre héros moustachu qui voit le ciel lui tomber sur la tête, mais notre compassion tend à disparaître progressivement : si ce n'est l'état de sa bagnole pour lequel, en effet, on ne peut pas le rendre 100 % responsable, en ce qui concerne le reste (sa fidélité, sa sincérité, sa loyauté au travail, sa considération pour sa femme...), on ne peut pas dire qu'il marque des points. Le pire, c'est qu'au lieu de chercher à inverser la tendance (reconnaître ses torts et tenter dans la foulée d'arranger les choses (pour le loyer, pour son taff, vis-à-vis de sa femme), notre moustachu ne fait rien ou pire, il aggrave idiotement la situation (sa façon de jouer les petits mâles violents avec sa douce est proprement inexcusable). Le générique de fin nous laisse un peu les bras ballants : après toute cette série de cataclysmes pas forcément démérités, notre gars ne donne pas l'impression d'être capable une nouvelle fois de prendre enfin ses responsabilités - la fuite semble encore ce qu'il maîtrise le mieux. Un film réalisé, on le devine, sans énormes moyens, mais capable de faire intelligemment monter la tension de ce drame personnel : portrait d'un opportuniste dans une société où le mensonge semble pouvoir payer... Pas pour lui. Âpre donc.

A tout Kiaro, là