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1 juillet 2016

LIVRE : Un Jardin à la cour de Abdel Hafed Benotman - 2016

9782743635923,0-3163049Pour me laver les yeux du livre de Renaud, il me fallait un gars qui aurait su rester fidèle à ses convictions malgré le temps qui passe, un qui n'aurait jamais embrassé un flic et aurait compris la rue jusqu'au dernier moment. Je me suis donc tourné naturellement vers le dernier livre de Benotman, mon héros, décédé l'an passé mais qui nous a laissé juste avant ce récit génial. Inachevé, Un Jardin à la cour est la narration sans fard de la vie d'Hafed, vie passionnante s'il en est : 17 ans en taule, une évasion, des braquages drolatiques, des femmes, des livres, quelques scénarios, des pièces de théâtre, et surtout une expérience de la vie extraordianire, qui ne l'a pour autant jamais rendu supérieur ou donneur de leçon. Benotman, c'est l'homme le plus homme qui soit, et ça transparaît dans chacun des mots de ce livre.

Violente, anarchiste et frontale, cette autobiographie serait déjà fascinante si elle se contentait d'être un récit des faits de la vie du gars. Elle est trépidante, que ce soit dans ses rapports avec son père ou dans la narration de son apprentissage de la littérature, que ce soit dans ses rencontres féminines ou dans ses positions politiques (ses accointances avec les parias, quels qu'ils soient, son mépris des flics, son libertarisme). Benotman a une vision des choses qui n'est jamais conventionnelle : la prison peut être un endroit joyeux et drôle, un braquage un acte burlesque, une scène de sexe un moment dérangeant et pathétique... En roue libre et sans complexe, il nous fait part d'une vision de la vie qui ne doit rien qu'à lui-même, et ces mémoires sont celles d'un autodidacte farouche, qui s'est forgé une philosophie très personnelle. Le livre pulvérise pas mal de clichés, sur la police à l'ancienne, sur le viol en prison ou sur le monde du travail par exemple, et on a envie d'applaudir à deux mains chaque paragraphe, tant ils sont de toute évidence écrits par un homme en liberté (même enfermé entre quatre murs), qui n'a pas peur de la contradiction ou du débat. C'est touchant d'ailleurs de se dire que ce récit est le dernier d'Hafed : il s'y livre totalement, met un point final à celui qu'il fut, et se moque jusqu'au bout de la bien-pensance.

Mais avant tout, c'est un livre de style, et là les amis, on touche au très grand. Comme dans tout bon récit de zonzon, le gars utilise l'argot, bien évidemment. Mais c'est un argot qui ne doit rien aux bons mots à la con de Michel Audiard, ou au folklore fatigant des taulards autobiographes ; Hafed a lu Céline, et l'a bien lu : il utilise la musique de l'argot comme une formule incantatoire, musicale. On a envie de lire le livre à haute voix, tant on sent le merveilleux équilibre sonore qu'il arrive à atteindre. On est parfois devant quelques pages balancées comme un vieux jazz, une musiquette à la Simenon, et parfois devant un rap vengeur. L'écriture est moderne, jeune, pétillante, joyeuse, hâchée, dérangeante, mais Benotman ne tombe jamais dans la pure virtuosité pour autant : c'est constamment sincère, écrit avec un naturel déconcertant. En tout cas, c'est assez rare pour le remarquer, voilà un livre qui revient à l'origine : le style. Ça fait du bien.

La quinzaine de nouvelles qui suivent ce récit est très inégale. Il y a du très bon, dans ces petites tranches de vie pathétiques que la gars a toujours adorées, petits bouts de romans noirs condensées et vénéneux ; il y a du très anecdotique, quand Benotman se laisse aller au pur style ou à la gouaille un peu fabriquée. L'important, ce sont ces 150 pages miraculeuses qu'il nous laisse, testament très attachant qui témoigne de l'homme et de l'écrivain formidables qu'il fut. Sur sa pierre tombale : "Ça ne valait pas la peine, mais ça valait le coup", on ne saurait mieux dire.

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