La Vallée de la Vengeance (Vengeance Valley) de Richard Thorpe - 1951
Pas grand chose à signaler dans ce western de série B, mis à part qu'il est réalisé avec un savoir-faire indéniable et qu'on ne s'y ennuie pas une seconde, ce qui est déjà remarquable. Richard Thorpe et ses techniciens sont tous les meilleurs qu'on puisse trouver chacun à son poste, et on traverse cette petite chose avec un plaisir total. D'autant que le scénario est loin d'être inintéressant : un brave rancher a élevé deux fils, l'un naturel (Robert Walker), l'autre adopté (Burt Lancaster). Mais le premier choisit la voie de plus en plus savonneuse de la malhonnêteté et de la tromperie, d'abord en mettant en cloque la bimbo de la ville alors qu'il est marié, ensuite en lorgnant la fortune de son père quitte à le spolier, enfin en jalousant terriblement le droit et honnête frangin. Peu à peu la haine grandit entre Abel et Caïn, et Walker utilisera toutes les félonies pour mettre Burt en danger, par exemple en envoyant à ses trousses les deux frères de la fille qu'il a engrossée, en leur faisant croire que c'est Burt le père. On sent que tout ça va se terminer par une lutte fratricide sanglante, et je confirme : la dernière bobine est tonitruante.
Thorpe et Irving Ravetch au scénario ont su fabriquer une galerie de personnages complexes, loin des héros sommaires reservés trop souvent au western. Chacun, bon ou méchant, a sa vérité, son humanité, ses raisons d'agir. On aurait bien vu James Dean, par exemple, dans le rôle que campe Walker, ce frère jaloux qui a grandi dans l'ombre de l'aîné, et qui veut se faire une place coûte que coûte. Il y a quelque chose de ce cinéma psychologique-là, celui de Minnelli ou de Kazan, dans ce film qui traite beaucoup plus des rapports familiaux que des cow-boys qui se tirent dessus. On aime cette intelligence d'écriture, sûrement issue du mélodrame, et que Thorpe prend le temps de développer, malgré la rapidité du film (80 minutes). Très attachant, le héros est porté avec beaucoup de simplicité par Lancaster, sobre, posé mais tous les acteurs sont impeccables, y compris les femmes, un peu sacrifiées dans le scénario alors qu'elles sont la clé de voûte des conflits entre les deux frères. Valley Vengeance n'est pas qu'un beau mélodrame, il est aussi un bon film d'action (les bagarres sont impressionnantes, très brutales) et surtout un intéressant regard quasi-documentaire sur le vrai tavail des cow-boys. Le film se déroule pendant le rassemblement des boeufs qui se sont dispersés pendant l'hiver, et Thorpe aime de toute évidence filmer les techniques du métier : dompter un cheval, isoler un boeuf du troupeau, marquer une vache, faire passer un chemin escarpé à 1500 boeufs - je ne savais pas le faire avant, je suis devenu un spécialiste maintenant. Bref, un solide western très professionnel, modeste et attachant.