Guillaume Guéraud mérite toute notre affection, mes biens chers frères, puisqu'il est le seul à ma connaissance à instiller du gore et du malsain dans le littérature jeunesse, et il est bon que les mômes apprennent à tronçonner des membres dès leur plus jeune âge. En attaquant ce bouquin paru dans une collection adultes, on s'attend donc à du bon gros roman de genre. Eh bien c'est ça, et plus que ça. Guéraud reste dans les règles du polar fantastique, mais y injecte une part très personnelle qui emporte l'adhésion. A commencer par le concept lui-même : le livre est en fait un album photos, récit en images d'une affaire policière, dont le texte est en fait une série de légendes correspondant aux photos. Oui, sauf que ces photos... ont disparu, qu'il n'en reste plus que des cadres gris, et ces légendes donc. Le livre dès le départ est donc placé sous le signe de l'absence, de cette part manquante qui va être comblée à la fois par l'écriture acérée et descriptive du sieur, et par notre imagination mise en branle avec panache par cette idée.
Notons ici tout de suite la réserve : oui, le livre aurait pu exister aussi avec des photos, et ce "truc" sent parfois la contrainte forcée ; la justification de cette disparition, tirée par les cheveux, ne cache pas que cette idée est un peu induite par un manque de moyens ou un défaut, disons, technique (allez louer un photographe et payez-vous un avion pour Miami, quand vous êtes écrivain, vous, aussi). Réserve terminée, passons aux compliments : les photos disparues constituent de grands trous dans la page, illustration parfaite de l'avancée à l'aveugle du narrateur. Celui-ci, photographe de son état, est à la recherche de son frère, avec lequel il entretient des rapports espacés. Ce dernier, petit braqueur interlope qui pourrait bien avoir mouillé dans un braquage foireux, est introuvable, et notre héros va devoir aller jusque dans les bas-fond de Miami et dans Little Havana pour le pister. Ça sent le vaudou, l'alligator, l'homme de main brutal et les geysers de sang, ou on ne connait pas notre Guéraud. Et effectivement ça va charcler grave dans les moments-clés, on ne plaisante pas impunément avec la mafia et les pactoles dérobés. Les photos disparues provoquent parfois un effet de saisissement très étrange, comme si notre imagination, aidée par les informations lâchées minutieusement par l'auteur, faisait apparaître les motifs de l'horreur : dans les grands moments, ceux les plus sanglants, on voit véritablement les corps éventrés.
Il faut dire que le style du compère est bien affûté pour nous en mettre plein la vue. La rapidité d'exécution, héritée sans doute d'heures passées à scruter les recettes d'Ellroy ou de Hammett, fonctionne à merveille. Une ligne suffit à préciser le contexte, le décor, l'ambiance. Puis tout s'enchaine à une vitesse folle, dialogues, évènements, réflexions du héros. On s'amuse bien à suivre cette aventure à cheval entre le pastiche du genre et l'hommage : les méchants sont torves et folkloriques comme dans un bon vieux Tintin, leurs patronymes sentent la parodie (Milan Franek, Linda Powers, Denis Couleuvre, Lea Kavitchek, on se croirait dans Grand Theft Auto, ou dans Scarface, film parodique que le livre prend un peu comme référence ironique), mais en même temps on sent Guéraud soucieux de rendre tout ça crédible, "sérieux", avec une vraie attention aux atmosphères, à la véracité de la trame, aussi improbable soit-elle. On sent l'oeil cinématographique dans cette succession de saynètes rythmées façon staccato (à chaque fois, un titre, et hop dix lignes, et fin), dans cette écriture proche du behaviorisme américain, où l'acte compte plus que son interprétation, où le visuel est préféré à la profondeur. Un roman de gare avec cette petite chose en plus qui s'appelle une personnalité : parfaitement plaisant.
C'est bien de le préciser.