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31 mars 2016

Paysage dans le brouillard (Τοπίο στην Ομίχλη) de Theo Angelopoulos - 1988

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Pas à dire, le cinéma à l'ancienne du père Angelopoulos fonctionne encore diablement bien aujourd'hui. Je n'avais jamais vu Paysage dans le brouillard, et pourtant quelque chose d'immédiatement reconnaissable en émerge : un cinéma des années 80 qu'on appelait intello, où on sent la présence de producteurs lettrés et de techniciens diplômés, une période d'avant les caméras DV, une période de scénarios longuement mûris et retravaillés... sans jouer au vieux con, un cinéma de machine et de mise en scène qui s'est perdu avec les années 2000 et la mort de Toscan en gros. Bref : chaque plan de ce film semble avoir pris deux mois de labeur, de réflexion et de déroulages de câbles pour lui donner non seulement cet éclat esthétique magnifique mais aussi cette profondeur symbolique. On est dans l'allégorie pure et dure, dans le cinéma qui exige que le cerveau complète ce qu'on voit.

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Deux enfants fuguent pour aller retrouver le père qu'ils n'ont jamais connu, qu'ils croient être en Allemagne. Comme la quête elle-même est plus importante que son but, ils vont errer à travers la Grèce, chassés des trains, recueillis par moult personages, sans parvenir à franchir cette frontière. Ils vont ainsi traverser toute une série de "rêves éveillés" dans un pays voué à la perte, à la déreliction, à l'abandon, dans un scénario qui va s'effilocher de plus en plus pour tomber dans une pure rêverie, mélange de mythologie nationale et de cauchemar social, avec de brusques incursions de pure poésie. On le voit, typiquement le script que Michael Bay adorerait. Angelopoulos en fait un film ample, solennel, hyper esthétique et contemplatif. Peut-être un peu trop parfois : l'énormité des moyens techniques déborde parfois le film, qui devient un objet simplement formel ou au contraire beaucoup trop cérébral pour vraiment toucher. Mais la plupart du temps, la vision d'Angelopoulos force le respect. On quitte très vite la logique du scénario, entraîné dans cette fable (ou ce conte de fées moderne) où on croise aussi bien une troupe de comédiens sans emploi, une immense statue grecque sortie de la mer, un routier pédophile, des fulgurances felliniennes, des boites de nuit, des autoroutes ou des tempêtes de neige. Le tout porte un ton amer étrangement triste, malgré l'espoir, malgré la joie qui émane de certains plans : Angelopoulos se met vraiment à hauteur d'enfant pour regarder le monde, et adopte ce mélange de terreur, d'étonnement et de joie que peut avoir un enfant face aux choses.

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Les mouvements de caméra, hyper sophistiqués, sont toujours réglés au millimètre pour être le plus vastes possibles, dégager le plus possible de sens de l'espace : des panormaiques à 360° où tout, acteurs, véhicules, éléments de décors, semble s'imbriquer l'un dans l'autre pour ouvrir la profondeur de champ ; des travellings très lents et très tendus (les personnages voient toujours les choses avant le spectateur, puis on vient recadrer lentement l'objet de leur surprise) ; une façon d'utiliser l'immobilité absolument illogique et très puissante (une scène de neige qui reste dans les yeux) ; des grues aux mouvements aériens pour dégager tout à coup des pans entiers de territoire ; et ces immenses plans larges qui placent ces deux enfants minuscules dans l'immense espace gris des banlieues, des zones industrielles, des gares, ... Angelopoulos travaille sur les plans qui se répondent : la fin qui retrouve le début, et surtout ce magnifique dernier plan dans le brouillard, qui correspond à un bout de pellicule confié à l'enfant au milieu du film. Tout ça au service de ces deux mômes sacrifiés, qui vont devoir faire l'expérience de la brutalité du monde avant de parvenir où ils voulaient aller. Du vrai grand cinéma d'appareil, de rails et de grues, pour une vision du monde ample et très personnelle.

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Commentaires
H
Moi, j'ai arrêté avant d'en attraper.
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R
Moi, le cinéma à l'ancienne du père Angelopoulos me file des hémorroïdes...
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Derniers commentaires