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GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
3 mars 2016

John John (Foster Child) de Brillante Mendoza - 2007

photo

Peut-être le film le plus simple et accessible de Mendoza, ce qui ne lui fait perdre en rien son talent. Voilà un film qui pourrait être tout ce qu'on déteste, mièvre, concerné, pleurnichard, thésard, et qui est tout le contraire, sanguin, incarné, émouvant et rigoureux. Le gars utilise la radicalité de sa mise en scène pour se mettre au service d'un sujet touchant, les joies et les douleurs d'une femme dont le boulot consiste à élever des enfants en attente d'adoption : un sort difficile, puisque les enfants lui sont systématiquement enlevés une fois qu'elle s'y est attaché, pour partir vers les familles aisées qui les ont choisis. Cette fois, elle est en charge du turbulent mais craquant John John, et on suit le quotidien de cette famille en instance d'éclatement dans les favelas de Manille, puis dans l'hôtel luxueux où l'attend le couple qui va l'adopter. Deux univers qui fonctionnent comme un hiatus, dans un film politique sans esbroufe, uniquement dans cette façon de montrer deux mondes qui ne se mèleront jamais.

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Pourtant, Mendoza utilise la même technique dans les deux univers : la caméra en immersion en plan séquence, à l'épaule, qui semble capter au passage la vie qui va, comme dans un documentaire. Le principe d'étouffement par la mise en scène est revendiqué dès le superbe premier plan : la caméra fixe sur le ciel bleu pendant le générique, puis un panoramique vertical pour cadrer en plongée les bas-fonds labyrinthiques, et c'est parti pour une heure de zig-zags dans les minuscules ruelles de ce quartier misérable, où tout le monde vit dehors, où les enfants prennent des douches glacées à côté d'ivrognes crasseux, où ça crie et ça court dans tous les sens, où tout le monde se connaît et s'engueule toute la journée. Un monde chaotique, bruyant, grouillant, que la caméra capte avec une avidité qui fait plaisir : Mendoza attrape tout à la volée, et restitue avec une grande authenticité l'ambiance de la favela. C'est passionnant, même quand on prend trois minutes à ne regarder qu'un môme préparer des pâtes ou qu'une femme qui habille un môme ; et c'est souvent drôle, énergique comme un vieux film italien, vibrant de vie, de trognes pittoresques et de micro-épisodes quotidiens (la visite de la responsable du centre d'adoption, mama grondante qui connaît tout le monde, est un grand moment). C'est un peu comme si les Dardenne étaient philippins et lâchaient leur sens du drame ; durant une bonne heure, effectivement, on ne connaît pas l'histoire de cette famille, et la gravité est quasi-absente de la chose.

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Quand le film prend ce brusque virage à mi-chemin, et quitte la favela pour aller en ville, on commence à voir où ça va coincer. Mendoza ne se départ pas de cet humour doux-amer, mais attaque brusquement son sujet à bras-le-corps. La caméra rentre dans l'immense hall d'un hôtel de luxe, et le contraste est violent. Pourtant, Mendoza reste dans sa forme originelle, caméra au poing, à crapahuter derrière son héroïne. La séquence qui suivra, la rencontre avec cette famille huppée qui va en quelque sorte lui arracher l'enfant dans la douceur, est sidérante, violente alors que tout se passe dans la politesse la plus raffinée. Il faudra une douche mal contrôlée par l'héroïne pour montrer qu'il y a quelque chose de détraqué au sein de ce système policé, une brutalité affreuse entièrement contrôlée par le système de classes, par la tractation en quelque sorte économique qui se déroule sous nos yeux : on vend un enfant, là, dans cette chambre clinquante, et on l'arrache à celle qui en a pris soin. C'est insupportable, et pourtant traité avec une infinie sobriété par Mendoza, par le biais des petites choses, des petits détails. Après avoir traversé ce monde enchanté et vénéneux des classes aisées, notre Mère Courage replongera dans la jungle de Manille pour quelques scènes sans doute un peu trop appuyées, puis on la perdra de vue dans un escalier roulant qui l'emporte hors de vue, dans une contre-plongée qui semble répondre au premier plan du film. Et on peut enfin respirer, sortir de ce bordel incroyable qu'est ce film, à la fois bouillonnant de vie et terriblement violent. Encore un grand film du gars Brillante, qui porte définitivement bien son prénom.

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