LIVRE : L'Expérience de Christophe Bataille - 2015

En 1961, à Tamanrasset, dans le désert algérien (encore territoire français), des hommes servirent gentiment de cobayes lors des essais nucléaires pour que l'on puisse définir ensuite, notamment, les périmètres de sécurité... Merci à ces gaziers saignés à blanc car quelques années, plus tard, mon pater, simple bidasse, fut témoin, au même endroit, des derniers essais (à distance raisonnable). Je lui dédicace donc ce livre que je n'ai pas écrit, ça ne me coûte rien. Au-delà de ces quelques réflexions personnelles qu'en est-il de ce court ouvrage, concentré comme un atome, plein de colère contenue ? Le chant de Bataille (oui) s'éparpille un peu, comme pour mieux nous faire ressentir les visions désormais fragmentaires de son personnage principal. Plusieurs courts paragraphes ne cessent de faire l'aller-retour entre passé et présent : des souvenirs intimes de cette époque (une jeune femme rencontrée dans un cinéma qui s'évanouit dans la nuit... comme une métaphore de ce que son personnage a à jamais perdu à cette époque), le récit fragmenté, donc, de cette mission suicide en plein désert ou encore quelques réflexions jetées sur le papier des années plus tard, plus apaisées mais toujours hantées par cette explosion infernale. Son personnage, sacrifié au nom de cette soi-disant science, conte par le menu ces quelques secondes d'épouvante qui ébranlèrent la terre, dévastèrent les alentours ainsi que ces quelques hommes plantés à quelques mètres de la bombe (j'allais écrire "de la tombe", c'est tout comme). Bataille nous fait ressentir tout l'effroi ressenti par ces cobayes et toute la froideur de cette grande muette qu'est l'Armée, capable d'ensevelir dans un premier ces hommes dans les tranchées puis dans un second leur dossier médical dans des bureaux scellés. Grandeur de la France (on a la bombe !), chiure d'hommes jetés en pâtures. Un énième scandale de notre belle démocratie où le principe d'égalité est discutable (la différence entre le citoyen lambda et le politique restant indéniablement la proximité avec le danger). Une expérience un peu trop brève (je parle en priorité du livre) mais intense (je parle en priorité de la bombe).