LIVRE : On ne peut plus dormir tranquille quand on a une Fois ouvert les Yeux de Robert Bober - 2010
Suite à la lecture des Cahiers de l'Herne consacrés à Roché, j'avais été mis sur la piste de ce roman de Bober (lui-même assistant de Truffaut) où le personnage principal, Bernard Applebaum fait de la figuration dans Jules et Jim - suite à sa rencontre avec un certain Robert... Cet épisode du tournage de Jules et Jim n'est qu'un épisode parmi d'autres dans cette histoire très modianesque (films, photos, lettres font constamment resurgir le passé) mais permet au narrateur au moins deux choses essentielles : l'une sera d'embrasser, lors du tournage d'une scène, un ancien amour (un vrai baiser volé purement cinématographique qui restera sans lendemain... sans lendemain dans les faits ou sur la pellicule (la scène sera coupée au montage) mais dont la trace restera vive dans l'esprit de Bernard... le passé n'est jamais totalement sans lendemain...), l'autre sera de connaître plus en profondeur la vie de sa mère : après la vision du film, celle-ci confiera à son fils qu'elle connut à la même époque deux personnes dont l'un deviendra le père de Bernard (mort dans les camps) et l'autre son beau-père (mort dans l'accident d'avion où se trouvait Marcel Cerdan, dis donc). Des films qui font resurgir des faits (ceux de Truffaut mais aussi ceux d'Ophuls), la recherche de photos, aux puces, ou des visites de musée qui donnent lieu à des rencontres, des liens secrets, par le biais d'artistes, qui se tissent comme par magie (Bernard a un demi-frère, Alex, fan de Harpo Marx : quand il reprend contact avec sa tante exilée aux États-Unis (celle-là même que devait rejoindre le père d'Alex avant de mourir en avion), il apprend que cette dernière, danseuse de claquettes, a tourné dans plusieurs films des Marx Brothers), ou encore des amours qui renvoient à des œuvres ou à l'Histoire... Bober place en exergue cette magnifique phrase de Modiano ("Je n'avais que vingt ans, mais ma mémoire précédait ma naissance") et n'a de cesse dans ce "récit romanesque" de se replonger dans le passé, dans celui de son père, dans celui de l'Histoire avec un grand H (l'arrestation de son père en 42 à Paris, l'internement de Franz Hessel, le fameux Jules, au camp des Milles...) qui ne finira jamais d'en créer avec un petit "h" et un "s". On sent toute la pudeur de Bober derrière tous ces souvenirs qui affleurent, souvenirs qu'il essaie toujours de décrire avec simplicité, avec précision sans chercher à tomber dans de grandes phrases littéraires... Le « style » n'est d’ailleurs pas forcément le point fort de cet ouvrage mais il est plaisant de voir la façon dont Bober tisse des liens intimes entre les œuvres d’art, les lieux historiques et les gens qu'il côtoie. Un Truffaut ou un Roché n'aurait sûrement pas trouvé à y redire. C'est forcément un compliment.