Phoenix (2015) de Christian Petzold
Petzold avait un scénario en or pouvant jouer aussi bien de la correspondance entre son personnage littéralement "en ruines", corps et âmes (elle sort tout juste des camps et a reçu une balle en plein visage) et le Berlin totalement détruit de 45 que de la mise en abyme entre la création d'un rôle au cinéma (se fondre dans son personnage pour être crédible) et la situation de la jeune femme dans l'histoire (son mari la croit morte dans les camps et "l'embauche" pour pouvoir jouer le rôle de sa femme... et toucher l'héritage - un beau fumier de lapin, on est d'accord ; la femme cherche à reconquérir son mari coûte que coûte : elle doit puiser dans "ses réserves" pour retrouver une "crédibilité" face à l'homme de sa vie). Le problème de Petzold, c'est qu'il n'est ni Sirk au niveau du choix des décors (sa reconstitution d'une ville en ruines sonnent creux), ni au niveau de la mise en scène... Il filme droit, suivant consciencieusement et chronologiquement son scénario (la jeune femme évolue physiquement, reprend sa démarche d'antan...) sans jamais flirter avec le vertige de la situation. Oublions toute idée même d'humour (se retrouver obligée à (re)jouer son propre personnage pouvait créer des situations relativement cocasses : on ne peut pas dire que nos personnages principaux se dérident à un quelconque moment - certes, l'humour et les camps ne font pas forcément bon ménage, sans vouloir offenser notre ami Bénigni-oui-oui), on aurait pu tout de même espérer une certaine complicité naissante entre ses deux amants qui repartent, par la force des choses, à zéro. Nein. Le mari reste droit dans ses bottes, obsédé par son objectif, au grand désespoir de sa pauvre femme - même après un baiser, notre homme ne frémit point, un comble. Celle-ci veut pourtant aller jusqu'au bout de cette reconquête même si les rumeurs sur les agissements de son mari fusent (c'est lui-même qui l'aurait dénoncée aux SS – et ce n’est pas le pire…) : elle incarne the femme-courage, il reste de bois, dommage que cette ligne scénaristique demeure aussi monolithique.
Il faut attendre la toute dernière séquence pour voir poindre un soupçon d'émotion (attention spoiler from now) avec la magnifique interprétation d'une chanson par la jeune femme : cela semble lever tous les doutes sur son identité mais Petzold gâche là encore son effet ; il a la maladresse de faire un plan sur le numéro tatoué sur son bras : il gâche ainsi toute la subtilité, toute la grâce de cet instant suspendu ; il veut enfoncer le clou dans le cercueil de ce mariage (quand l'homme la reconnaît enfin, il la perd définitivement : l’idée était là encore belle en soi) et l'instant choisi est bien maladroit - le mari n'avait pas besoin de cette preuve supplémentaire pour enfin tilter. Cela sent un peu trop les gros sabots allemands : c'est bien dommage tant l'histoire aurait pu prêter à beaucoup plus de finesse, de nuances et de fêlure dans son traitement. Ce phoenix demeure bien décevant au niveau de sa mise en scène, flirtant simplement avec les cendres de son scénar.