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5 janvier 2016

LIVRE : Un Cheval entre dans un bar (Souss ehad nikhnass le-bar) de David Grossman - 2015

797806-grossmanjpgBizarre comme ce roman vous attrape malgré vous, et vous emmène assez loin même si vous avez sans arrêt envie de le lâcher. Un Cheval entre dans un bar ne fait rien pour se faire aimer, à l'instar de son protagoniste : Dovale, vieux briscard du stand-up, sorte de Lenny Bruce de la Shoah, convie pour sa dernière représentation un de ses amis d'enfance, un juge qu'il n'a pas revu depuis des décennies, à assister à son one-man-show. Sa demande : aucune, juste que le gars assiste à ça, et vienne ensuite lui rapporter "ce qu'il a vu". Le roman va constituer en la retranscription verbatim de ce spectacle, avec ses brusques virages, ses surprises, ses répétitions, ses ratés et ses succès. En contre-point de ce monologue logorrhéique, on suit les sensations de ce juge, étrange personnage entre rejet et admiration, qui parle à son épouse alors que celle-ci semble morte depuis longtemps. D'abord du côté de Dovale, le lecteur passe subtilement dans celui du juge, tant les impressions qu'il tire de ce qu'il voit sont proches de celles qu'on ressent à la lecure : on s'ennuie parfois, on piétine de temps en temps, mais on est entraîné irrésistiblement par le souffle puissant du Verbe que Grossman met en place. Mélange de blagues plus ou moins salaces et plus ou moins bonnes, de passages autobiographiques dérisoires ou tragiques, d'adresses insultantes ou moqueuses au public, le numéro de Dovale est impressionnant dans les ruptures, dans les changements de registre ; et l'écriture de Grossman, du coup, en adopte toutes les variations, avec un immense talent pour nous surprendre sans arrêt. Le personnage principal est assez antipathique, sorte de joker cynique, masochiste et supérieur ; mais la force avec laquelle il est construit nous fait doucement adopter son caractère ; et quand il se met à raconter la longue histoire du décès accidentel de sa mère, on reste suspendu à ses lèvres comme si on sentait véritablement la lumière sur lui et si on entendait sa voix. Il faut dire que l'atmosphère dessinée par Grossman pour son cabaret est parfaite : un lieu enfumé, fantomatique, où le public réagit directement aux paroles de l'acteur. On y croise aussi bien des touristes pleins de bière que des serveuses frivoles, et surtout une bande de spectateurs ayant tout de spectres, bribes du passé de Dovale qui constituent son public premier ; une ambiance à la limite du fantastique qui fonctionne parfaitement. Le numéro de one-man-show se transforme en douloureuse introspection, sans jamais que Grossman ne se départisse d'un humour cinglant, d'un rythme envoûtant. C'est vrai que, comme il relate cette parole du début à la fin, on a souvent l'impression que le livre stagne, qu'on s'ennuie un peu. Mais c'est aussi un talent de ce roman que d'accepter les moments creux, parce qu'ils sont réalistes, parce qu'ils font partie du show. On quitte la chose, du coup, un peu interloqué, sans savoir exactement ce qu'on nous a raconté. Mais on se rend bien compte aussi que Grossman a réussi son coup : nous enfermer dans le piège du langage. Un Cheval entre dans un bar, c'est ça : un hommage au langage, ses vertus, ses dangers, son pouvoir. Un livre fort recommandable, du coup.

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