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27 décembre 2015

LIVRE : Le Châle (The Shawl) de Cynthia Ozick - 1989

le-chale-629815-250-400Court mais grand texte qui nous tient sous tension pendant 95 pages, Le Châle fait partie de ces bouquins dont on sent qu'ils pourraient imédiatement devenir culte s'ils rencontraient leur public. Malheureusement, avec un sujet pareil, la route risque d'être longue : Rosa est déportée en camp de concentration, cachant son bébé dans un châle ; un SS s'en empare et le tue en le projetant sur la cloture electrifiée du camp ; 30 ans plus tard, on retrouve Rosa à Miami, vieille femme hébétée et abandonnée à sa folie, assaillie par la paranoia, les délires et les séquelles irrémédiables de sa perte. Le premier chapitre, celui dans le camp, vous laisse exsangue : un "flow" d'images et de mots incroyable, qui rend compte à la fois de la terreur de la situation, de la rapidité de l'évènement horrible qui advient et du bruit qui entoure les choses. On lit ces dix pages d'une traite, fasciné par la force de l'écriture, sa poésie morbide, à laquelle la traduction géniale de Jean-Pierre Carasso rend une belle justice. Sec et rapide, et en même temps pleine d'images et prenant bien son temps pour faire éclore chaque motif, ce chapitre est un modèle de justesse sur le sujet, et on se dit qu'Ozick, à l'égal d'un Levi ou d'un Styron par exemple, a sur rendre compte de ce qu'est l'horreur de la déportation et de la mort.

Le livre décroche alors, et on suit les délires de Rosa, privée de sa fille mais convaincue qu'elle vit encore, enfermée dans la haine de sa nièce qui a été une pièce maîtresse dans l'exécution de son bébé. A Miami, elle va traverser une sorte de cauchemar climatisé : hôtels de luxe aux plages privées entourées de barbelés où les homos forniquent joyeusement, vieux dandys légèrement obsédés qui piquent les culottes des femmes, profeseurs érudits organisant des colloques sur la survie : tout ramène Rosa à son passé, à cet évènement traumatique, et là encore, l'écriture parvient magnifiquement à évoquer et rendre concrète cette folie dans laquelle le personnage s'est enfermé, rêve éveillé fait de fantasmes, de rancunes, de retours du passé, de délires, de bouffées parnoïaques, etc. Sur les séquelles de la Shoah, on a rarement été plu concis et plus juste à la fois : Rosa est crédible malgré le délire kafkaien qui l'habite (et qu'on suit depuis l'intérieur de sa tête), et ses cicatrices ouvertes aussi. Jusqu'au dernier mot de la dernière page, Ozick nous a trimballé aux frontières de l'indicible ; c'est surprenant, mais on l'en remercie : voilà la dignité et la douleur faites livre.

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