Mia Madre (2015) de Nanni Moretti
J'attendais, j'attendais sans doute un peu trop de ce film... parce que c'est Moretti, parce qu'il est un expert de la perte et du troussage finaud du mélo, parce que Turturro n’est jamais aussi bon que lorsqu'il est dans un registre intelligemment décalé, parce que, parce que... J'attendais et j'ai attendu patiemment laissant doucement le film installer ses personnages et son ambiance : Moretti et sa sœur cinéaste Margherita Buy sont aux petits soins pour leur mère, tendus dans l'attente d'un rétablissement. Margherita doit également gérer le tournage d'un film "social" (un patron américain reprenant une entreprise italienne et devant licencier des ouvriers), un lourd projet professionnel (d'autant que la star américaine, le John, est la première des quiches) alors même que ses sentiments sont à fleur de peau... L'ambiance, dans la chambre d'hôpital ou sur le plateau du tournage, est un peu "froide" (où est passée la chaleur humaine morettiesque se demande-t-on en fan absolu de Journal Intime ?), les personnages un peu "en dedans" (Moretti très sobre, Margherita le regard perdu, Turturro un peu emprunté) mais on se dit qu'il faut du temps pour que le film parvienne à faire entendre sa petite musique. J'attendrrrrrrrai.
J'ai attendu en continuant à regarder cette histoire truffée de micro-rêves, de petits flashs-back, comme si l'on entrait progressivement dans l'esprit bien pensif de la tristoune Margherita. On ressent, c'est le moins qu'on puisse dire, tout son désarroi face à la pantalonnade qu'est devenu son plateau de tournage (Turturro se révèle de moins en moins capable de jouer une ligne de dialogue) mais surtout face à la dégradation de santé (mentalement et physiquement) de sa madre : Margherita semble ne pas vouloir prendre la mesure de la situation (ok, sa mère part un peu en live mais ce ne peut être que passager) comme pour mieux se voiler la face devant le sérieux de cette évolution (elle ne cesse de demander à son frère le pourquoi du comment de cette "maladie" alors que les médecins se sont montrés des plus clairs sur la situation qui ne porte guère à l’optimisme). Si Turturro tente ici ou là de faire de plus en plus dans la truculence (la danse improvisée, la double scène en bagnole, son incapacité à aligner deux lignes dans la cafétéria), il y a malgré tout un petit côté "mis en scène" un peu forcé, guère "naturel" - à mes yeux en tout cas. Quant à la pauvre Margherita, elle passe du désarroi à l'incompréhension totale (imaginant des situations de plus en plus pathétiques - sa mère se perdant en ville dans sa petite chemisette d'hôpital), incapable d’envisager l’absence de cette mère si cultivée, si touchante... Je m'attendais à me faire ravager par un flot de sanglot, je m'attendais à sentir grossir nanomètre par nanomètre cette petite boule dans la gorge jusqu'à l'étouffement... et il n'en fut rien. Oui, c'est bien fait, juste bien, autant dire indigne d'un Nanni au top de sa forme. Mia Madre un bon film de l'année, juste bon... Guère ressenti la petite fibre humaine potentiellement cyclonique d'un tel sujet. Dommage pour moi. (Shang - 02/12/15)
Eh ma foi assez d'accord avec mon camarade. Tout est juste dans ce film, on ne peut rien lui reprocher fondamentalement, mais il y manque la grâce des grands films du maître pour vraiment nous emporter. J'avoue quand même qu'une larmichette a coulé sur mes joues, de mon côté, devant cette terrible justesse de jeu et d'écriture pour ce qui concerne la mort de la mère. Margherita Buy est absolument parfaite dans le jeu du désarroi et le refus de faire face à cette douleur qui se prépare ; et Moretti est d'une exemplaire sobriété dans ce rôle de fantôme bienveillant : est-il réel ou n'existe-t-il que dans la tête de Margherita, lui qui ne fait son apparition que dans l'enceinte de l'hôpital, comme dans les films d'horreur ? Il joue en tout cas l'effacement, la bienveillance et la douleur à la perfection, voilà longtemps qu'on ne l'avait pas vu aussi habité par un personnage. Il excelle à décrire la finesse des rapports entre frère et soeur, et aussi entre petite-fille et grand-mère : ce duo-là, construit sur la transmission (d'une langue morte, qui plus est) est emblématique du film dans son entier ; il s'intéresse à l'héritage, à ce qui se transmet et se perd d'une génération à l'autre. Cette partie "douloureuse", qu'on imagine encore plus autobiographique que celle "humoristique", est vraiment réussie. Le personnage de la cinéaste traverse cette épreuve comme hébétée, et le film la suit dans ses délires oniriques (superbe séquence de l'appartement innondé, ou de la mère perdue en pleine ville, ou de la file d'attente au cinéma qui rassemble tous les protagonistes du film, scène définitivement fellinienne), n'occultant pas pour autant la trivialité de la maladie et du deuil.
C'est vrai que la partie comédie est moins réussie, un peu maladroite. Turturro est décalé, est-ce une volonté de jeu ou une difficulté à le diriger réellement, on ne sait pas ; mais le fait est là : il peine à vraiment convaincre, se cantonnant à une caricature d'acteur gâté. Moretti est un peu lourd de ce côté-là, on ne croit pas à ce personnage de matamore qui veut convaincre tout le monde qu'il a travaillé avec Kubrick mais n'arrive pas à aligner deux phrases. Le rôle du réalisateur grincheux, il le confie cette fois à un alter-ego féminin, mais on y perd en gueulantes et en brio. Ce déséquilibre du film empêche l'émotion de grandir, on a l'impression qu'on est à cheval sur deux films, ça manque de cohésion, de cette façon géniale qu'il a d'habitude de mélanger humour et mélodrame (dans Journal intime, dans Bianca, dans Palombella Rossa...). Bon, n'y allons pas par quatre chemins, c'est un poil décevant ; touchant, d'une évidente pudeur, mais manquant un peu de force... (Gols - 30/12/15)