Bad Boy Bubby (1993) de Rolf de Heer
Cela faisait un bail que je n'avais pas vu un film aussi déjanté, un tel ovni, un genre de mix entre un Herzog sous hypnose et le Verhoeven rageur des débuts (quand il était bon). Un type reste pendant 35 ans enfermé, ce n'est pas rien. Sa mère lui fait croire que le monde extérieur est devenu irrespirable (il l'est mais d'une autre façon...) et la mater (obèse) de grimper sur son gosse devenu grand chaque jour que Dieu fait (oui, ce n'est pas très moral tout ça tout ça). Là-dessus, un jour, ou peut-être une nuit, se pointe le père (un Père, aussi, d'ailleurs, les voies du Seigneur étant décidément impénétrables). Ce curieux ménage ne fait rapidement pas bon ménage et le fils finit par "cellophaner", comme il l'avait fait avec le chat, ses deux géniteurs pas très catholiques - sur le fond tout du moins... C'est un départ un peu glauque, j’en conviens, un huis-clos entre quatre murs qui respirent la misère... Notre héros (Nicholas Hope, hallucinant), le fameux Bubby, se retrouve livré à lui-même dans les rues d'Adélaïde (pas la meilleure pub a priori pour l'Australie, il faut en convenir... quoique, remarquez, si on aime les gens qui sortent un peu du commun). C'est un dingue en pleine liberté et le plus effrayant (sans vouloir une nouvelle fois faire ombrage au pays des kangourous)... c'est qu'il ne fait pas tant tache que cela dans le paysage urbain ; faut dire qu'il sait s'y prendre, le bougre, et qu'il a l'air, instinctivement, d'avoir des clés : il caresse les seins d'une dame de l'armée de salut et la petite troupe l'invite à venir manger une pizza... Il fait du gringue à la plus jeune de la troupe et le voilà qui se retrouve dans son lit. Il insulte un flic en pleine rue et se retrouve à l'arrière d'un camion à boire de la bière avec une bande de rockers... La suite est un peu à l'avenant, l'ami Bubby, malgré son sens de la répartie un peu limité (il ne fait que ressortir des phrases entières qu'il a captées ici ou là), ayant le chic pour faire des rencontres : parfois peu glorieuses (jamais cool de se faire sodomiser en prison par un type qui fait des fresques sur les murs avec sa merde), parfois plus avenantes (les femmes sont fans du gars mais seules celles à la poitrine bonnet M (rapport à sa mère et non à la musique) ont une chance de pouvoir conclure avec notre drôle de citoyen.
Sous ses allures de film de « dingo bon enfant » (les « aventures dans la ville de Bubby » - qui a tout d'un doux dingue... tant qu'il ne met pas la main sur de la cellophane), le film se révèle, à l'usage, beaucoup plus acerbe. Bubby a beau avoir l'air d'un grand naïf un peu niais, il est loin d'être, dans cette société un peu starbée, celui qui détonne, pour ne pas dire celui qui déconne, le plus. Notre ami Dieu en particulier et les religions en général en prendront en chemin pour leur grade (la séquence "en apesanteur" dans l’usine - filmée par un drone avant la lettre ?), tout comme les parents infects et violents (et croyants d'ailleurs) de cette femme un peu ronde qui leur présente son ami Bubby (elle fait du bonnet M, je ne vous fais pas un dessin, j'ai pas la place), sans parler de ces gamins cruels ou de ces jeunes gens saouls comme des cochons. Bubby est peut-être un peu simple d'esprit mais il sait faire preuve d'une empathie rare pour des personnes lourdement handicapées physiquement (il devient littéralement leur "porte-parole") et se découvre un réel talent de chanteur faisant vibrer les foules (il improvise des paroles relativement décousus mais qui font souvent plus sens (il y met ses tripes, faut dire, avec son vécu d'écorché vif) qu'un truc de Midnight Oil, par exemple)). Les bons samaritains ne manquent finalement point dans cette bonne ville d'Adelaïde, nombreux étant ceux qui prennent sous leur aile ce gazier déjanté et désargenté. Rolf de Heer nous livre au final un film hors-norme dans la forme et terriblement couillu dans le fond : une de ses oeuvres zarbis tombées du ciel qu'il est bon de débusquer de temps en temps pour croire en l'éternelle folie créatrice du cinéma. Terriblement humaniste (qu’il s’agisse du héros ou de l'œuvre) sous ses faux airs azimutés.