Jeunes Filles en Uniforme (Mädchen in Uniform) (1931) de Leontine Sagan et Carl Froelich
Un bon vieux film germanique de femmes entre elles, voilà qui n’est pas si courant. Nous sommes en 1931 et l’on suit l’arrivée de la très jeune Manuella (14 ans et demi mais déjà bâtie comme un arrière droit) dans ce pensionnat de jeunes filles (qui dit « pensionnat de jeunes filles » dit dérive amoureuse interdite ? Cela n’engage que vous, mes bons amis). La petite Manuella, on le voit dès sa première apparition, est hypersensible : elle a perdu très tôt sa mère et pleure comme une Madeleine à sa moindre évocation. Si ce pensionnat est tenu par une main de fer par une Teutonne que l’on imagine aisément en d’autres circonstances dans un tank et par de vieilles pies, il y a bienheureusement la prof que tout le monde adore, adule, vénère : Fräulein von Bernburg. Chaque soir, elle donne un baiser maternel sur le front de ces jeunes filles qui s’évanouissent quasiment instantanément sous le charme de cette petite douceur dans un monde si rêche et si cloisonné (on ne verra jamais d’ailleurs nos jeunes filles en extérieur). Manuella devient vite l’une des coqueluches de l’établissement et sa rencontre avec Fräulein von Bernburg prend vite des allures de « coup de foudre » (la Fräulein embrasse dès le premier soir Manuella sur la bouche : ne vous excitez pas mes frères, on est dans la pureté absolue… quoique… et là j’en vois déjà deux-trois qui s’agitent …). Forcément la « direktrice » va rapidement voir d’un mauvais œil cette « complicité totale » entre une enseignante et une élève et va tout faire pour isoler Manuella de ses petites kamarades et de cette prof trop populaire pour être honnête… Mettre à l’écart quelqu’un d’indésirable ? Pourrait-on y voir déjà une propension allemande à… Vous voyez le mal partout mes amis. Leontine Sagan est juive sinon, sans chercher à influencer qui que ce soit. Se dirige-t-on tout droit vers un drame (dès 1931, cela aurait des allures visionnaires) ou un élan de solidarité va-t-il faire triompher la raison, la douceur, l’amour sur la froideur disciplinaire (ce qui pourrait aussi perçu comme un appel visionnaire… c’est toujours pratique de jouer avec l’Histoire a posteriori).
Ce qui touche là-dedans, c’est tout d’abord la gaité et la franche camaraderie de cette troupe de jeunes filles : guère de vacherie entre elles mais toujours de gentilles petites attentions les unes envers les autres (est-ce que lorsqu’on caresse pendant 10 minutes la jambe de sa camarade, cela peut être perçu comme une action à dessein érotique ? Je vous laisse juges) ; il existe donc une grande loyauté (elles font corps contre l’autorité) qui alimente un sentiment de rébellion contre ces vieilles peaux à l’air revêche (la vieille fille desséchée qui trouve naturellement sa voie comme enseignante dans un pensionnat… brrrrrrr). Il y a dans cette troupe deux trois éléments perturbateurs qui tentent de lutter contre les règles drastiques de l’école ; il y a les petites chipies populaires et les grandes gueules qui s’écrasent devant l’autorité. Le plus émouvant demeure bien sûr cette relation très spéciale : si Manuella cherche une épaule maternelle pour épancher sa tristesse (les beaux travellings arrières qui suivent chacune de ses sorties du bureau de la fraulein : ce cadre si tremblant sur cette fille si ébranlée (de joie, de joie)), on sent très vite qu’il y a quelque chose de plus dans leur relation… Pour preuve le fait qu’elles ne puissent penser vivre l’une sans l’autre ; l’enseignante est d’ailleurs tellement impliquée dans cette relation qu’elle parvient même, sur la fin, à deviner à distance l’état d’esprit de Manuella… Plus fusionnel, tu fonds. Même si on a l’impression que le pire est évité (je n’en dis pas plus), le dernier plan paraît tout de même bien crépusculaire : l’autorité se retire dans son antre pour mieux préparer le retour de la bête ? J’en ai des frissons… Doux et chou malgré une atmosphère pesante.