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14 février 2015

LIVRE : Seul, invaincu de Loïc Merle - 2015

9782330038878,0-2474610Après l'éblouissant L'Esprit de l'ivresse, c'est par la petite porte que Merle refait son entrée pour ce deuxième roman qui devient du coup un peu trop feutré. On aimait la jeunesse, la fougue, les excès de son premier livre, toutes qualités qu'il efface ici pour livrer un texte certes ambitieux, mais qui apparaît un peu moins nécessaire et urgent que l'autre. Charles est un soldat qui revient dans sa ville natale pour y retrouver son charismatique ami Kérim, figure quasi-christique de la ville, leader des marginaux du coin, qui se meurt aujourd'hui d'une leucémie. Un pélerinage qui va ressembler à un bilan de l'amitié qui lie les deux hommes, et surtout de ce qui les sépare. Merle tente d'écrire le grand roman sur les liens amicaux, comment il est impossible d'y échapper, comment on ne peut pas fuir son enfance, comment les amitiés les plus fortes se délitent pourtant irrémédiablement. C'est un noble projet, et c'est vrai que la force de l'écriture parvient plus souvent qu'à son tour à toucher du doigt l'essence des liens qui unissent les deux hommes : amer, dur, le texte donne peu d'occasions d'être optimiste, et traîne une mélancolie noire qui va être menée jusqu'au bout de l'escapade autant physique que morale de Charles.

Le fond est irréprochable, on sent Merle réellement concerné par cette perte de son passé, tourmenté par le constat que, quoi qu'on fasse, les relations humaines sont faites de domination, de tromperies, de trahisons plus que de bonheur. Les premières pages, notamment, sont un fulgurant résumé, en un seul souffle (Merle est bon sur les grandes épopées de style), de la vie de Charles et de ses rapports avec son ami. Au cours du livre, on aura droit sans cesse à des sortes de "sautes d'écriture", des pans entiers d'histoire occultés et remplacés par des figures de style éclectiques. On peut par exemple croiser des pages inspirées par Thomas Bernhard, avec cette façon très particulière de rythmer les phrases, avec ces répétitions, avec cette amertume froide ; puis se retrouver face à un monologue à la Dostoievski (le plus beau passage : le dicours d'un gradé dealer rencontré au coin d'une rue interlope) ; puis penser à Nathalie Sarraute, etc. Merle ne craint pas l'anachronisme, ni l'opacité, ni l'étrangeté, et accepte que son texte reste en bien des endroits mystérieux... quitte à nous perdre trop volontairement dans les 50 dernières pages, moins intéressantes, plus volontairement "expérimentales". Le risque est qu'on passe sans cesse du plaisir de certains passages au désintérêt d'autres, et c'est bien ce qui se passe. Difficile d'aimer le roman dans son entier. Si certains chapitres sont très grands (cette parenthèse de communauté marginale, par exemple), d'autres peinent un peu à convaincre : ce sont ceux où Merle devient trop narratif (la trame, c'est pas son truc), ou au contraire quand il devient trop abstrait sans nécessité, ou quand il s'attaque à la psychologie. Quand il écrit sanguin, physique, incarné, il reste très bon. Seul, invaincu (titre superbe) reste donc un livre indispensable si vous ne lisez qu'une page sur deux.

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