Journal d'un Curé de campagne de Robert Bresson - 1951
Ce n'est pas en adaptant Bernanos qu'on va nous dérider le Robert Bresson, et effectivement : voilà le film le plus épuré de la chrétienté, un modèle de rigueur et de sobriété, qui parvient à passer très habilement entre les écueils de son sujet et à rester fidèle au fond et au style même du roman. Autant dire que c'est pas tout à fait la fête à la saucisse de Morteaux.
Ce qui est très fort, c'est que le film ne parle presque pas de foi, ou en tout cas de perte de celle-ci. On voit bien que ce (trop) jeune cureton souffre mille douleurs morales, qu'il ne parvient jamais à se faire aimer de ses ouailles, de ses collègues ou des bourgeois du village où il est nommé. Mais le vrai sens de sa détresse demeure inconnu. Plus qu'une perte de foi, c'est le dialogue qui manque à notre ami : la rhétorique n'est pas son fort, et à chaque fois qu'il essaye de débattre avec l'un (le comte du coin) ou l'autre (sa femme), il déclenche des tragédies, des malentendus, qui le renvoient inlassablement à sa solitude d'alcoolique, à son sacerdoce mal abordé (excessif dans toutes les "apparences" de la religion, il se laisse mourir de faim), et à sa déprime. Un gars qui n'est pas à sa place, c'est ça la vraie histoire du film, et Bresson est vraiment excellent pour le suggérer autant par les longs dialogues directement repiqués à Bernanos que par la façon de planter son personnage au milieu du paysage. La campagne revêt une puissance impressionnante tout au long du film : arbres squelettiques au crépuscule, transformant les plans en images fantastiques façon Murnau ; cuisines de ferme austères qui enferment notre héros dans des cadres hyper-géométriques ; chemins boueux qui semblent être une représentation du mental vacillant du curé... Le film est fort visuellement, et compense par cette force le mystère de son histoire, et la rigueur janséniste de son dispositif.
Car, fidèle à son style alors naissant, Bresson met son point d'honneur à éviter tout ce qui pourrait ressembler à du pathos, ou même à de l'émotion dictée par les personnages. Avec leur jeu froid, les acteurs ne laissent pas de place à l'empathie : on constate les sentiments des personnages, sans les ressentir, de manière cérébrale, alors même que ces sentiments sont surpuissants et placés dans une nature très prenante. C'est que Bresson, gloire à lui, s'abstient aussi de tout psychologisme, ne cherchant pas à nous expliquer les personnages, nous les montrant agir et nous laissant le soin d'en déduire les conclusions. C'est un très beau jonglage entre un behaviorisme froid et une force de sentiments indéniable : on parle de choses très profondes et intimes en ne montrant que des gestes, mais ces gestes, pris ainsi dans ces cadres rigoureux, laissent exploser l'intimité des personnages beaucoup plus que le discours. Le discours semble d'ailleurs être le principal ennemi de cette poignée d'êtres qui ne se comprennent pas et qui finissent par mourir de ne pas savoir communiquer. Le film devient alors profondément religieux (pas mystique, religieux), dans le sens où il questionne la nature de la foi : est-ce par la présence des autres qu'on peut l'atteindre ? ou au contraire nous renvoie-t-elle à notre solitude, et ne peut-elle s'exprimer que par le silence et le retrait ? Questions beaucoup trop graves pour ce curé trop jeune (très beau choix de casting : Claude Laydu est physiquement parfait), qui écrit sur ses cahiers d'écolier avec une grosse écriture d'enfant. Beau film, difficile et pas forcément super fun, mais beau film.
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