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7 août 2014

LIVRE : Les Buddenbrook - Le Déclin d'une Famille (Buddenbrooks - Verfall einer Familie) de Thomas Mann - 1901

262924_2785534"Alors il avait succombé à l'un de ces accès de découragement total qu'il connaissait si bien. Il avait éprouvé à nouveau que la beauté fait mal, senti à quelle profondeur de honte et de nostalgie désespérée elle nous plonge et comment elle anéantit le courage et la faculté même de vivre l'existence vulgaire. Ce sentiment horrible et désespérant l'avait écrasé comme un bloc massif, et il s'était redit que, en dehors de ses chagrins personnels, un fardeau devait peser sur lui qui, d'emblée, avait alourdi son âme et qui l'étoufferait un jour."

La Montagne magique dont je garde un souvenir flou, vaporeux, enchanteur m'avait transporté et je dois bien reconnaître que cette saga des Buddenbrook m'a tout autant halluciné. Sont forts quand même ces Boches et pas seulement au foot pour clore la parenthèse de juillet. Si le gars Mann fut influencé par les Goncourt ou Zola, le type âgé d'une vingtaine d'années, ne garde de cette veine dite impressionniste que la quintessence et nous livre un premier roman du même bois que celle dont on faisait les raquettes (époque McEnroe, Borg, soyons sérieux). Cette galerie de personnages, des plus pathétiques, mesquins, terre-à-terre, "solides" (Le Consul, Thomas...) aux plus "sensibles", fragiles (Christian, Johann...) est on ne peut plus attachante sur la longueur (malgré les milliards de faiblesses de chacun… ou grâce à…) même si tous vont finir le nez dans le ruisseau, pour ne pas dire six pieds sous terre. On ne va pas revenir en large et en longueur sur les dons de Mann aussi à l'aise dans les descriptions que dans les dialogues (je trouve la traduction de Geneviève Bianquis d'une parfaite fluidité), dans les traits psychologiques que dans la douce ironie, dans la construction narrative que dans le choix des ellipses, simplement tenter d'évoquer quelques épisodes qui nous ont laissé le souffle coupé.

Il y a cette idylle, sans doute l'un des chapitres les plus lumineux du livre - même si cette aventure, cet espoir, seront rapidement avortés - entre Tony et Morten. Un bord de plage, une belle jeunesse qui se tourne autour, se découvre, s'aime... C'est l'un des vrais premiers rayons de soleil du livre qui sera malheureusement rapidement éclipsé par l'arrivée d'un prétendant (le sombre Grunlich) auquel (ah l'importance de ces bons vieux mariages bourgeois entre familles respectables) la pauvre Tony, sacrifiée sur l'autel des intérêts de la Compagnie, finira par céder - et signera en quelque sorte la fin de ses "ambitions sentimentales". Elle aura beau toute sa vie tenter de garder la tête haute, elle ne se remettra jamais vraiment de ce terrible choix... qui en entrainera d'autres.

Il y a cette agonie affreuse, monstrueuse de Mme Elisabeth dans cette chambre où toute la famille réunie se doit d'assister jusqu'au bout au calvaire. Il y a dans ces pages une telle culture de la souffrance, un tel jusqu'au-boutisme dans la description de ces derniers lambeaux de vie qui susistent, qu'il est facile d'y voir en creux tout le parcours de cette famille inexorablement rongée par la déchéance, vouée à chuter, à s'écraser sur le pavé face contre terre. Ce sera d'ailleurs la truculente façon dont choisit de clamser le gars Thomas après une terrible séance chez le dentiste. Là encore, Mann trouve toujours le mot juste pour nous faire approcher au plus près tout l'absurde de ces baudruches qui se prennent terriblement au sérieux, qui tentent plus que tout de garder la face, mais qui finissent par la perdre en tombant d'un bloc, le nez le premier, sur notre basse terre.

Il y a ces multiples épisodes concernant le petit Johann, son éveil musical, son émerveillement aux spectacles, la découverte de ses cadeaux un jour de Noël, sa peur bleue d'aller en classe, son ultime symphonie... en prélude à sa maladie. Ce dernier rejeton de la lignée, aussi peu attiré par les affaires et a priori aussi peu doué que son oncle Christian pour tenir la baraque, n'a d'aptitudes - tout comme sa mère - que pour la musique. Un artiste dans une famille allemande de commerçant bourgeois, autant dire un éléphant sri-lankais dans un magasin de porcelaine limougeaude. A défaut d'avoir la fibre commerciale et familiale, le gamin est sensible et cette sensibilité, cette fébrilité lui sera... tout autant fatale. Bref, brisons-là avant que l'électricité et les mots nous manquent : ce roman est un carnage, un monument (sur une maison où les fêlures sont aussi visibles que dans la maison Usher dont il est fait mention sur la fin), une montagne, un chef d'œuvre d'une finesse terriblement classique (...).

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