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12 juin 2014

LIVRE : Grosses Joies de Jean Cagnard - 2014

9782847204292,0-2134593Le moule dans lequel a été façonné Jean Cagnard n'a servi qu'une fois. Encore une fois, après ses deux romans beaux et inclassables, le compère nous surprend avec ce recueil de nouvelles venues directement de Mars. C'est sûrement dans la forme courte que le gars trouve sa meilleure veine, ses romans ayant le seul défaut d'être parfois un peu longs. En tout cas, voici 12 textes absolument ravissants. Cagnard se cache toujours derrière un humour absurde, non-sensique, où chaque situation est poussée à son maximum pour parvenir jusqu'aux confins de la rêverie ; mais c'est pour mieux dissimuler une profonde mélancolie, voire même un regard assez violent sur les rapports humains : couple, enfants, familles, tout met à jour des amours qui s'étiolent, des existences qui piétinent, des gens qui disparaissent. Du coup, on se marre certes beaucoup, mais on se retrouve avec un petit pincement au coeur, amer et prenant qui fait toute la force de ces nouvelles faussement désinvoltes.

Un homme qui, prenant l'avion, se trouve privé d'une moitié de lui-même ; un autostoppeur qui refuse de partir ; un gars qui se greffe des huitres à la place des yeux pour ne plus souffrir de l'insupportable beauté de sa femme ; une femme qui tombe d'un immeuble en une semaine ; des souvenirs d'enfance qui sont devenus mélange de fantasmes, de cauchemars et d'images troubles : on passe d'un univers à l'autre avec toujours ce sens imparable du détail ou de la formule qui touche. L'écriture est hyper-fine, cultivant un art du contrepoint qui ne cesse de laisser baba : Cagnard commence une phrase et la finit à l'inverse de ce qu'on attendait. Bien sûr, le fil sur lequel marche l'équilibriste est fin, et il arrive qu'il tombe : quand il verse dans le pur absurde, dans un univers à la Prévert matiné de Kafka, il est moins convaincant, et ces nouvelles-là ("Une tasse de café sur une aile d'avion", "Le pigeon") sont trop "volontairement" barrées. Mais quand son imagination débordante est au service de trames intimes, qui ont à voir avec la perte de l'enfance ou un passé mal digéré, il est excellent. Avec un sens aigu de l'allégorie, du symbole subtil, il plonge alors ces textes dans une sorte de fantastique quotidien qui fait mouche ("Flaque de beurre, rabot électrique", "Bon vent", "L'endroit où je n'étais plus"). Un livre hors de tout, mode, norme, repère ; capital, donc.

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